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Le CICE, la verrue de François Hollande

Thomas Piketty est directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris

Libération, mardi 7 octobre 2014

Si le gouvernement ne fait rien, alors le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi) restera comme le symbole de l’échec de ce quinquennat. Une véritable verrue, incarnant jusqu’à la caricature l’incapacité du pouvoir en place à engager une réforme ambitieuse de notre modèle fiscal et social, et qui se contente d’ajouter des couches de complexité sur un système qui en compte déjà beaucoup trop.

Hollande et Valls aiment se décrire comme de courageux réformateurs, des opiniâtres socialistes de l’offre, engagés dans un combat de titans face à la vieille gauche. Ces postures sont ridicules.

La vérité est qu’ils ne mènent aucune réforme de fond et ne font qu’accumuler les bricolages et les improvisations, sur la fiscalité comme sur les cotisations sociales et la compétitivité. Il est encore possible d’agir et de changer le cours des choses, en particulier sur le CICE. Mais il faut le faire dès cet automne. Après il sera trop tard.

Revenons en arrière. Le poids des cotisations patronales pesant sur les salaires est excessif en France, et il est urgent de les alléger. Non pas pour faire un cadeau aux patrons, mais parce qu’il n’est ni juste ni efficace de faire reposer à l’excès le financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé. De fait, lorsque l’on compare la France aux pays disposant d’un Etat social d’ampleur comparable, notre principale particularité et le poids de nos cotisations patronales. Le taux global est supérieur à 40% (pour verser 100 euros en salaire brut, l’employeur paie plus de 140 euros en salaire super-brut), dont environ la moitié pour les cotisations retraites et chômage, et la moitié pour les cotisations maladie, famille, construction, formation, etc. C’est cette seconde moitié qu’il faudrait transférer à terme sur des assiettes fiscales plus larges et plus justes. 

Pour la droite, la bonne approche est d’augmenter indéfiniment la TVA. Mais l’addition serait très lourde pour les plus modestes. La seule véritable alternative à cette TVA « sociale » est la CSG progressive : il faut mettre à contribution de la même façon tous les revenus (salaires du privé, traitements du public, pensions de retraites, revenus du patrimoine), avec un barème progressif dépendant du niveau du revenu global.

Faute d’avoir su mener ce débat avant les élections, la gauche au pouvoir se retrouve à improviser en permanence. Quand il devient président, à l’été 2012, Hollande commence par annuler les réductions de cotisations patronales que son prédécesseur vient de mettre en place. Six mois plus tard, il invente l’invraisemblable usine à gaz du CICE, qui vise à rembourser, avec un an de retard, une partie des cotisations acquittées par les entreprises un an plus tôt. Tout en réintroduisant une hausse de TVA, pourtant exclue avant les élections. Le montage du CICE, qui constitue toujours aujourd’hui le cœur de la politique économique du gouvernement, permet à Hollande de se démarquer de son prédécesseur.

Le problème est que cette dérisoire opération de communication se fait au prix d’un énorme gaspillage d’argent public. Le système de crédit d’impôt est en effet illisible et très souvent ignoré par les entreprises, sauf peut-être par les plus grandes. Et encore ces dernières devraient en toute logique calculer que ce type de dispositif  se caractérise toujours par une instabilité chronique et une imprévisibilité quasi totale à l’horizon de quelques années, et ne prendre par conséquent aucune décision qui les engagent au-delà. Pour résumer : le pouvoir jette l’argent public par les fenêtres, au moment même où il n’en a pas.

Aujourd’hui, l’Elysée, le gouvernement et la technostructure se renvoient la balle, en expliquant qu’il sera toujours temps, un jour, de revenir à la case départ en remplaçant le CICE par une réduction de cotisations patronales en bonne et due forme, permanente et pérenne. Chacun reconnaît en privé l’inefficacité du CICE, mais tout reste bloqué.

En vérité, rien ne se fera si Hollande n’assume pas clairement, dès cet automne, la suppression de la verrue qu’il a lui-même créée. Le CICE qui sera versé en 2015 sur la base des salaires payés en 2014 est en effet déjà dû, et il est donc trop tard pour l’annuler. Pour supprimer le dispositif au 1er janvier 2016 et le remplacer par des réductions de cotisations entrant en vigueur dans le courant de l’année 2016, un vote doit intervenir au parlement avant la fin 2014. Faute de quoi rien ne se passera jusqu’en 2017 (il est peu probable qu’une modification entre en vigueur au 1er janvier 2017, quelques mois avant les élections).

Sur ce sujet comme sur d’autres, et notamment sur l’Europe, il est encore temps de sauver ce quinquennat. Si la France et l’Italie formulaient enfin des propositions précises d’union politique et budgétaire, avec notamment la création d’un parlement de la zone euro, compétent pour voter au grand jour un plan de relance et le niveau commun de déficit, alors il serait très difficile pour l’Allemagne de refuser longtemps une telle perspective démocratique européenne. Mais sur tous ces sujets il faut maintenant faire vite, faute de quoi Hollande aura définitivement perdu toute capacité à agir.