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De l'action, vite !

Libération, mardi 25 septembre 2012

Thomas Piketty est directeur d'études à l'Ehess et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.

Le début du quinquennat Hollande est-il aussi mauvais qu'on le dit? Oui, malheureusement. Certes les circonstances ne sont pas faciles, et le nouveau président n'est pas prêt de nous faire regretter l'ancien. Il reste qu'on observe sur tous les sujets un attentisme et une indécision bien inquiétants pour un début de mandat.

Sur le plan européen, la France n'a formulé aucune proposition concrète permettant d'avancer vers l'union politique et budgétaire et la mutualisation des dettes publiques, seule solution durable à la crise. Résultat: on se retrouve à faire de l'austérité à marche forcée, soit disant pour rétablir notre crédibilité, alors que tout le monde sait que cette politique conduira à plus  de récession et plus d'endettement. On perd du temps à ratifier un traité dont on sait déjà qu'il ne règlera aucun des problèmes structurels de la zone euro. Cerise sur la gâteau : on laisse Angela Merkel parler toute seule de l’union politique et dérouler ses propositions, qui ont au moins le mérite d’exister (élection d’un président de l’UE au suffrage universel), mais qui sont loin d’être les plus adaptées (la priorité devrait plutôt être d’établir un parlement démocratique au niveau de la zone euro, sans doute à partir des parlements nationaux). Et pendant ce temps, le reste du monde continue d’avancer, d’investir dans l’avenir et de distancer l’Europe.

Sur le plan domestique, toutes les réformes de fond sont repoussées à plus tard. La réforme fiscale, mère de toutes les batailles pendant la campagne du candidat Hollande, se limitera à quelques petits bricolages, alors que nous aurions besoin d’une refondation complète, qui est à notre portée. La France est depuis longtemps le seul pays développé à ne pas avoir mis en place le prélèvement à la source : qu’importe, elle le restera cinq années de plus. La France brille par l’empilement de plusieurs impôts directs, avec des assiettes mitées se superposant les unes aux autres avec des règles distinctes : qu’à cela ne tienne, on créera une tranche à 75% avec une troisième assiette, distincte à la fois de celle de l’impôt sur le revenu et de celle de la CSG, et encore plus percée que les deux premières. Une chose de sûr : au royaume des usines à gaz, les conseillers fiscaux seront rois.

Sur le cout du travail et la compétitivité, le président Hollande a certes déclaré que les cotisations patronales ne pouvaient continuer de peser sur les seuls salaires, et qu'il allait derechef commander un rapport pour réformer le financement de la protection sociale. Quelle bonne idée ! Tellement bonne que Lionel Jospin avait eu la même en 1997. Il avait donc commandé un rapport, ce qui lui avait permis de constater un an plus tard que la question était décidément bien complexe, et qu’il était urgent de ne rien faire. Espérons que cela se termine mieux cette fois.

D’autant plus que la question est centrale. Actuellement, le taux global de cotisations patronales est d’environ 40% en France : pour verser 100 euros en salaire brut, l’employeur paie 140 euros en salaire super-brut (et le salarié touche 80 euros en salaire net). C’est beaucoup trop. Sur ces 40%, seule la moitié peut se justifier (cotisations retraites et chômage), et le reste (maladie, famille, formation, construction,..) devrait reposer sur des assiettes fiscales plus larges. Le mouvement a été engagé, puisque le taux de cotisation patronale est divisé de moitié au niveau du smic. Mais le taux remonte en flèche dès lors qu’on dépasse le salaire minimum, et retrouve son niveau de 40% dès 1,6 fois le smic. Le gouvernement sortant, en prolongeant partiellement le taux réduit jusqu’à 2,1 fois le smic, s’était orienté dans la bonne direction, et le nouveau pouvoir aurait été bien inspiré de maintenir cette baisse, mais avec un autre financement. A terme, l’objectif doit être de réduire à 20% le taux de cotisation patronale sur tous les salaires.

Comment faire pour financer cela ? Le problème est que la TVA sociale  ne sera jamais à la hauteur de l’enjeu : la hausse nécessaire serait énorme, et frapperait de façon aveugle le pouvoir d’achat. La TVA éco-modulable envisagée par le gouvernement encore moins : on peut espérer transférer ainsi un ou deux points de cotisations, mais pas plus. Le bon outil est la CSG, car son assiette est beaucoup plus large que la TVA, et parce qu’elle seule permet de répartir les efforts de façon juste et transparente sur tous les revenus. A condition cependant de mettre enfin en place une véritable CSG progressive, c’est-à-dire avec un taux modulable suivant le niveau de revenu. Faute de quoi le transfert de cotisations patronales pèsera lourdement sur les retraités et salariés modestes, et donc ne se fera pas. Seule une réforme fiscale d’ensemble permet de résoudre ces contradictions. Rien n’indique à ce stade que le gouvernement ait le courage et la volonté pour cela, mais il n’est évidemment pas interdit d’espérer.