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CSG progressive contre TVA sociale

Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris

Libération, mardi 17 janvier 2012


Selon toute vraisemblance, le gouvernement s'apprête à annoncer, demain, lors du sommet social, un transfert massif de cotisations sociales sur un mélange de TVA et de CSG. S'il choisit de suivre le scénario haut présenté par le Medef en novembre dernier, la réforme pourrait consister à transférer près de 50 milliards de cotisations patronales vers la TVA (afin d'alléger le coût du travail), et plus de 20 milliards d'euros de cotisations salariales vers la CSG (afin d'augmenter les salaires nets à la veille des élections et mieux faire passer la pilule de la hausse de TVA).

Face à un tel activisme de dernière minute, la gauche ne peut pas se contenter de stigmatiser l'agitation perpétuelle du président-candidat, prêt à tout pour sauver son poste. La réforme du financement de la protection sociale est une vraie question. L'opposition doit saisir cette occasion pour sortir du cafouillage fiscal des deux dernières semaines et montrer au pays qu'elle est prête à gouverner, en formulant des contre-propositions précises, à la fois plus justes et plus efficaces que celle de la droite.

De quoi s'agit-il? Notre système de protection sociale repose trop fortement sur des cotisations sociales assises sur les seuls salaires. Cela peut se justifier pour le financement des revenus de remplacement (retraites, allocations chômage). Mais la particularité française est d'avoir également utilisé les cotisations pour financer des dépenses sociales telles que l'assurance maladie et la politique familiale. Le problème a été en partie résolu pour les cotisations salariales maladie et famille, progressivement remplacées depuis 1990 par la CSG, prélèvement qui a le mérite de reposer sur tous les revenus, d'où un rendement très élevé: près de 12,5 milliards d'euros par point (5,5 milliards pour les salaires du secteur privé, 2 pour ceux du secteur public, 1 pour les revenus des non salariés, 3 pour les revenus de remplacement, et 1 pour les revenus de patrimoines: intérêts, dividendes, loyers)*, ce qui permet d'alléger la pression sur les salaires.

Mais rien n'a été fait pour le plus gros morceau, c'est-à-dire les cotisations patronales. Actuellement, le taux de cotisation patronale est de 12,8% pour la maladie et de 5,4% pour la famille, soit au total 18,2% du salaire brut (et plus de 20% si l'on ajoute les divers prélèvements institués pour financer la construction, la formation, etc., et qui n'ont aucune raison de reposer sur les seuls salaires).

S'imaginer que l'on va transférer de telles masses de cotisations (plus de 110 milliards d'euros, soit deux fois l'impôt sur le revenu!) sur la TVA est totalement irréaliste. Outre les arguments habituels sur son injustice, il faut souligner que l'assiette de la TVA est étroite (moins de 6 milliards d'euros par point de TVA à taux plein, soit deux fois moins que la CSG), ce qui s'explique par l'existence de taux réduits (coûteux bien que peu efficaces en termes de ciblage), mais aussi par le fait que de nombreuses consommations échappent à la TVA (services immobiliers et financiers notamment), et que les plus aisés ne consomment qu'une partie de leur revenu. Dans le scénario haut du Medef, il faut porter le taux plein de TVA à 25% (et le taux réduit à 12%) pour financer le transfert de 2,1 points de cotisation maladie et des 5,4 points de cotisation famille, soit 7,5 points de cotisation patronale. Pour transférer la totalité des 18,2 points, il faudrait porter la TVA à plus de 35%! Le choc de pouvoir d'achat serait d'autant plus rude que la TVA, comme tous les impôts indirects, est aveugle dans sa répartition, et ne permet pas d'épargner les bas revenus. La TVA sociale n'est tout simplement pas à la hauteur de l'enjeu.

La CSG constitue potentiellement un bien meilleur outil pour mener une réforme d'ampleur des cotisations patronales. A deux conditions toutefois. D'abord, il faut obliger par la loi les employeurs à augmenter les salaires bruts des salariés déjà en place d'un montant équivalent à la baisse de cotisations. La baisse de coût du travail - pour un salaire brut donné - s'appliquera aux nouvelles embauches et aux augmentations de salaire, mais ne doit pas se faire sur le dos de ceux qui ont déjà un emploi! Ensuite, il faut enfin créer une véritable CSG progressive. On a trop longtemps contourné l'obstacle en bidouillant des mécanismes ad hoc pour les bas revenus: les retraites et allocations chômage inférieures à un certain seuil de revenu fiscal sont exonérées de CSG ou taxées à taux réduit, les bas salaires se voient rembourser entre la moitié et les trois quarts de leur CSG via la prime pour l'emploi (avec un an de retard...). Il faut maintenant un véritable barème progressif s'appliquant à toutes les formes de revenus de la même façon. Par exemple, pour obtenir les mêmes 12 milliards d'euros de rendement, on peut soit taxer tous les revenus à 1%, soit appliquer un taux progressif passant de 0% pour les revenus inférieurs à 2 000 euros bruts mensuels à 1% entre 2 000 et 4 500 euros, puis 2% au delà de 4 500€. En permettant de concilier efficacité dans le prélèvement et justice dans la répartition, la CSG progressive constitue la seule alternative crédible à la TVA sociale.

*voir http://www.revolution-fiscale.fr/annexes-simulateur/Donnees/pdf/CSG1.pdf