PNG - 9.7 koWorld Inequality Lab - WID - World Inequality DatabaseENS

Thomas Piketty - Welcome to my home page

FMI: encore un effort !

Libération, mardi 22 octobre 2013

Thomas Piketty est directeur d'études à l'Ehess et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.

Ainsi donc le FMI, dans son dernier rapport, se met-il à défendre l’impôt progressif. Il va même jusqu’à recommander un impôt sur les patrimoines privés pour réduire l’endettement public. En voilà une bonne idée ! Evidemment, un tel changement de pied peut faire sourire. Essayons tout de même de mieux comprendre ce que le FMI propose et ne propose pas, d’où il vient et où il va.

Pendant des décennies, le FMI a tout fait pour mettre à mal le principe même de l’impôt progressif. Dans tous les pays dans lesquels il est intervenu, il a favorisé les impôts sur la consommation (non progressifs), ou bien la « flat tax », c’est-à-dire un impôt pesant avec un même taux sur tous les revenus, des plus bas aux plus astronomiques. Partout, il a expliqué que l’utilisation de taux plus élevés pour les tranches supérieures de revenus était nocive pour la croissance et devait être abandonnée.  Affirmation qui n’a pourtant aucun sens d’un point de vue historique : la croissance n’a jamais été aussi forte qu’au cours des années 1950-1980, période où la progressivité fiscale était maximale, notamment aux Etats-Unis.

Aujourd’hui encore, la plupart des cadres du FMI, qui émargent à 300 000-400 000 dollars annuels, et comme de juste sont dispensés de tout impôt, demeurent pourtant pétris de cette idéologie. Ils continuent d’expliquer en toute bonne conscience que l’ajustement budgétaire passe en priorité par des hausses de TVA et des baisses de dépenses sociales, et défendent toujours des réformes (comme la déduction d’intérêts notionnels pour les actions) visant de facto à vider de tout contenu l’impôt sur les bénéfices des sociétés. C’est peu dire que le récent rapport fait grincer des dents dans les couloirs du FMI, et qu’il reste un long chemin à parcourir pour transformer ces mentalités. En rappelant qu’un retour à la progressivité de 1980 permettrait de combler une bonne part du déficit américain actuel, l’institution de Washington franchit cependant une étape importante dans sa propre histoire.   

La bataille de l’impôt progressif sur le revenu est loin d’être gagnée. Derrière ce premier affrontement, une bataille intellectuelle et politique plus importante encore se dessine : celle de l’impôt progressif sur le patrimoine. Le FMI a raison de souligner que l’endettement public des pays riches, qui aujourd’hui semble insurmontable, n’est finalement que peu de choses par comparaison à la masse des patrimoines privés (financiers et immobiliers) détenus par les ménages de ces mêmes pays, notamment en Europe. Le monde riche est riche : ce sont ses Etats qui sont pauvres. La solution envisagée par le FMI – à savoir une taxation des patrimoines privés pour réduire la dette publique – a le mérite de lever un tabou. Elle démontre le désarroi de l’institution face à la crise actuelle. Le FMI n’a pas su anticiper la crise de 2008, et il réalise maintenant que la stratégie d’austérité budgétaire qu’il a favorisé ne fait que prolonger la récession, et qu’à ce rythme il faudrait plusieurs décennies pour ramener les dettes à leur niveau de 2007.

Malheureusement, on en reste au milieu du gué. Le problème est que le FMI ne s’engage pas clairement dans la voie de l’impôt progressif sur le capital. Le rapport évoque certes la possibilité d’une taxe concentrée sur les patrimoines les plus élevés. Mais il semble surtout favoriser une solution de type « flat tax » sur les patrimoines, qui est un véritable repoussoir : ponctionner au même taux les épargnes petites et moyennes et les très gros portefeuilles financiers n’a aucun sens, et ne peut mener qu’au rejet de ce type de politique. Les autorités européennes et le FMI ont d’ailleurs soutenu une telle solution lors de la crise chypriote du printemps dernier, avec le succès que l’on connaît (aucun mea culpa sur ce point dans le rapport : l’épisode n’est même pas évoqué). Compte tenu de la concentration extrême qui caractérise la répartition du capital, le barème d’imposition des patrimoines se doit d’être fortement progressif, davantage encore que pour les revenus.

Or une telle progressivité exige un haut degré de transparence financière internationale et de coopération entre pays, qui est à peine évoqué par le FMI. C’est d’autant plus regrettable que sans un objectif fiscal clairement formulé, les négociations actuelles sur les paradis fiscaux ont de fortes chances de s’enliser. L’objectif des transmissions automatiques d’informations bancaires doit être de pouvoir observer l’ensemble des actifs financiers et immobiliers détenus par un individu donné dans les différents pays et de prélever un impôt progressif sur le patrimoine net individuel.

Rêvons un peu : et si les fonctionnaires de la Commission européenne et des ministères européens des finances, au lieu d’être toujours à la traîne de ceux du FMI (à la traîne pour répéter la doxa fiscale ultra-libérale, puis à la traîne pour le revirement suivant), décidaient de prendre les devants et de faire des propositions ? Et si les responsables politiques européens, à commencer par les dirigeants français et allemands, prenaient enfin leurs responsabilités ?