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Les deux mensonges de Jérôme Cahuzac

Libération, mardi 23 avril 2013

Thomas Piketty est directeur d'études à l'Ehess et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.

Il y a deux affaires Cahuzac. La première est le mensonge sur le compte suisse, gravissime parce qu'il détruit symboliquement ce qui était la seule force de Hollande face à Sarkozy: moins de proximité avec l'argent fou, fin des cadeaux aux plus riches.

Mais il y a aussi un second mensonge: Jérôme Cahuzac incarne le reniement de la gauche sur ses promesses de réforme fiscale ambitieuse. Une gauche qui s'apprête tranquillement à augmenter la TVA sur toute la population au 1er janvier prochain, en plein marasme économique, alors même qu’elle avait exclu toute hausse de cette nature quand elle était dans l’opposition.

Le problème est que ce second mensonge est d'abord l'oeuvre de François Hollande, qui n'a fait qu'utiliser Cahuzac pour dissimuler son manque de courage et le flou de ses convictions. Avec l’aide bien sur des quelques 300 députés socialistes, qui ont voté comme un seul homme la hausse de TVA en décembre dernier, six mois après avoir été élus sur un programme rigoureusement contraire. Tout cela pour mettre en place un crédit d’impôt qui est une véritable usine à gaz, et ne fait qu’ajouter une couche de complexité supplémentaire sur un système fiscalo-social qui en compte déjà beaucoup trop.

Cela fait réfléchir sur les méfaits du présidentialisme à la française. En privé, les députés comme les membres des cabinets ministériels ne se privent pas de dire tout le mal qu’ils pensent de ce soi-disant plan compétitivité. Mais en public personne n’ose contredire les arbitrages du monarque républicain.

Comment en est-on arrivé là ? Revenons en arrière. En 2011, tout le monde considère que la gauche a un programme fiscal, avec pour objectif central une refondation de l’impôt sur le revenu. Le PS vient de l’adopter officiellement par un vote solennelle des militants : « nous procéderons à la fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG pour créer un impôt moderne car prélevé à la source, qui s'adaptera donc plus rapidement aux évolutions de carrière et de vie ».  

Pendant les primaires, à l’automne 2011, tous les candidats font semblant d’être d’accord sur ce programme. En vérité, il aurait suffi de gratter un peu pour se rendre compte qu’il n’en est rien. Aucun des « détails » importants (assiette, barème, calendrier,…) n’a été arbitré, et le fameux programme est en fait très flou et peu contraignant.

Pourquoi les bonnes questions n’ont-elles pas été posées au bon moment ? Sans doute parce qu’une partie des journalistes dits « politiques » confondent en réalité la politique et le people, et ne s’intéressent pas à ce qu’ils considèrent être les « détails » des programmes fiscaux - sauf bien sûr quand il s’agit de leurs propres impôts.

Toujours est-il que François Hollande commence à faire marche arrière peu de temps après avoir été désigné candidat. Jérôme Cahuzac, plus connu pour ses compétences en implants capillaires qu’en matière fiscale, et qui a été nommé porte-parole du candidat sur le budget et les impôts, fait alors cette déclaration incroyable : la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG ne pourra se faire qu’en fin de mandat, et uniquement en cas de « consensus bi-partisan ». En langage clair, cela veut dire que l’on ne fera rien : depuis quand le PS et l’UMP adoptent-ils ensemble des réformes fiscales ? Et qui Hollande nomme-t-il pour s'occuper des impôts après son élection ? Jérôme Cahuzac. La boucle est bouclée. Sans surprise, la réforme est ajournée.

Pour remplir le vide, on invente alors un invraisemblable crédit d’impôt, financé par un tripatouillage indigne sur les taux de TVA. Car non contente d’augmenter de 6 milliards d’euros la TVA au 1er janvier prochain, la gauche poursuit le mensonge en tentant de faire croire que les plus pauvres seront épargnés. Le taux le plus bas ne sera-t-il pas réduit de 5,5% à 5% ? Effectivement, si vous dépensez tout votre salaire en paquets de pâtes chez Lidl, alors vous gagnez 0,5% de pouvoir d'achat (moins que l'inflation). Mais si vous faites des folies, attention! Le père François vous taxera avec son gros bâton.

Plus c'est gros, plus ça passe? Eh bien non, justement, cela ne passe pas. Ce mélange de cynisme et d'incompétence risque fort de se terminer très mal pour nous tous. La réforme fiscale reviendra un jour ou l’autre, parce qu’elle est inévitable. Seule une CSG progressive permet de mener une politique efficace de pouvoir d’achat en faveur des salariés modestes, et d’envisager une réforme ambitieuse du financement de la protection sociale. Hollande est maintenant confronté à ce choix : soit il repousse la réforme du système fiscalo-social français aux présidents suivants, soit il y contribue.