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Pour les Etats-Unis d'Europe

Marianne, samedi 16 juin 2012

Thomas Piketty est professeur à l'Ecole d'économie de Paris. Dernier livre paru: "Peut-on sauver l'Europe? Chroniques 2004-2012" (éditions LLL).

Je suis en colère contre les dirigeants européens. Contre Sarkozy et Merkel, bien sûr, qui ont gesticulé pendant des années sans rien faire pour nous sortir de la crise. Mais aussi contre tous ces dirigeants, présents et à venir, de droite et de gauche, qui sont incapables de nous présenter une vision claire de l'avenir de l'Union européenne.

Nous avons plus que jamais besoin des Etats-Unis d'Europe. Pour une raison simple: seule une puissance publique continentale permettra à la démocratie de reprendre le contrôle d'un capitalisme mondialisé devenu fou. A l'échelle de l'économie mondiale, la France et l'Allemagne sont à peine plus gros que la Grèce ou l'Irlande. En continuant de nous diviser, de nous affronter sur des détails, nous nous plaçons dans la main des marchés financiers et des paradis fiscaux. Après la crise financière mondiale déclenchée en 2008, l'Europe avait un rôle historique à jouer. Face aux failles de plus en plus évidentes du modèle américain hyper-inégalitaire, nous aurions dû prendre le leadership mondial pour développer une nouvelle régulation de capitalisme et porter haut le modèle social européen.

Au lieu de cela, nous nous débattons depuis trois ans pour savoir comment sauver la Grèce, dont l'économie représente à peine 2% du PIB européen... Le problème est dans le fond assez simple. Une monnaie unique avec 17 dettes publiques différentes, sur lesquelles les marchés peuvent librement spéculer, sans que les Etats puissent desserrer l'étau en dévaluant leur monnaie, cela ne marche pas. Un tel système a déjà mené la Grèce à la catastrophe, et finira par conduire l'euro à sa perte. Si l'on ne s'engage pas clairement dans la voie de la mutualisation des dettes publiques européennes, alors la crise recommencera encore et toujours.

Mais si l'on décide de créer une dette commune, alors il n'est pas possible de laisser ensuite chaque pays décider seul de la quantité de dette commune qu'il souhaite émettre.  La mutualisation des dettes implique nécessairement un bond en avant vers l'union politique et le fédéralisme européen. Une solution concrète et viable pourrait être de créer une nouvelle chambre parlementaire spécifique à la zone euro, en unissant les commissions des finances et des affaires sociales du Bundestag allemand, de l'Assemblée nationale française, et des différents pays souhaitant aller de l'avant. Un ministre des finances de la zone euro, à la tête d'un trésor européen, serait responsable devant cette chambre et formerait l'embryon d'un gouvernement fédéral de l'Europe. Ce serait une façon originale de créer une souveraineté politique européenne en s'appuyant sur les souverainetés nationales.

D'autres solutions existent. Mais il est plus que temps que les dirigeants français mettent une proposition précise sur la table. Faire porter à l'Allemagne la responsabilité d'un échec, alors même que les allemands sont en réalité plus avancés que nous dans leur réflexion fédérale, serait une stratégie bien peu glorieuse face à l'histoire.