Observatoire Boivigny

Pourquoi Thomas Piketty quitte la direction de l'Ecole d'Economie de Paris

La situation peut paraître surprenante : quelques semaines après avoir inauguré la prometteuse Ecole d'Economie de Paris (EEP), Thomas Piketty, jeune économiste en vue qui en avait pris la direction, a démissionné de son poste. Et ce, après avoir travaillé pendant trois ans à la mise en place de ce réseau, qui s'appuie sur plusieurs centres parisiens de recherche et de formation existants (EHESS, l'ENS, Paris I, les Ponts et Chaussées, le CNRS, l'INRA) et qui vise à concurrencer des centres de recherche aussi prestigieux que la L.S.E. ou le MIT de Boston.
L'Ecole d'Economie de Paris sera désormais dirigée par François Bourguignon, qui était jusque-là vice-président chargé de l'économie du développement à la Banque Mondiale. Thomas Piketty nous explique les raisons de sa démission.



- Pourquoi avez-vous démissionné de l'EEP si peu de temps après l'inauguration, qui a eu lieu le 22 février dernier ?

- Il faut bien comprendre que la journée d'inauguration a été l'aboutissement d'un très long processus. Je me suis investi durant trois ans à plein temps dans ce projet. En 2004, j'avais 32 ans et pas franchement envie de quitter la recherche quand j'ai accepté de mener à bien ce projet de « chef d'entreprise ». Je me suis fait violence en quelque sorte pour que cette école voie le jour, mais j'ai toujours annoncé clairement que j'allais passer la main très vite. C'est d'ailleurs plus excitant de créer le projet, que de le gérer au quotidien ! En outre, nous avions trouvé un successeur idéal en la personne de François Bourguignon. Il est à l'origine d'un des laboratoires phares de l'EEP, le Delta (Département et Laboratoire d'Economie Théorique et Appliquée, Ndlr), et c'est une grande pointure de la Banque Mondiale. Il a un solide carnet d'adresses et travaille sur des thématiques typiques de ce que veut faire l'EEP : le développement durable et l'évaluation des politiques publiques. Aujourd'hui, il a clairement fait le choix du management. Il va notamment s'atteler au projet de reconstruction du site, un programme d'un montant de 43 millions d'euros, qui devrait permettre de remplacer les actuels préfabriqués.

- Votre départ n'est-il pas en partie lié à votre prise de position en faveur de Ségolène Royal ?

- C'est parce que j'avais décidé de passer la main que je me suis permis de prendre position dans la campagne. En tant que directeur, on a un devoir de réserve, mais un chercheur peut – et à mon sens doit - participer au débat économique et social. Redevenir chercheur à plein temps me permet de me libérer pour des recherches et de retrouver ma liberté de parole. Je voulais m'exprimer sans toutefois entraîner l'institution derrière moi.

- Tout de même, cela a pu ne pas plaire à certains partenaires politiques ou privés du projet ?

- Le conseil d'administration de l'Ecole est tenu par des scientifiques. Il n'y a pas eu d'interférences, et encore une fois ma décision était prise de longue date. Ce qui a pu choquer les partenaires privés c'est plutôt ma décision de quitter le poste car, selon eux, un projet est incarné par un patron. Mais il faut bien comprendre que la recherche est un travail collectif, plusieurs personnes sont tout à fait capables d'occuper la direction de l'Ecole.

03/04/2007
Propos recueillis par Pierre-Alban Pillet