Futur lieu d'excellence, l'Ecole d'économie de Paris a été inaugurée hier.
Entre débats de haut vol, déjeuner au restau U et discours du Premier ministre sur le thème «la France n'est pas un pays fatigué», l'Ecole d'économie de Paris (ou la Paris School of Economics PSE comme on l'appellera demain à Harvard ou Cambridge) a été inaugurée hier. Vieux de quinze ans, ce projet piloté par deux normaliens plutôt ancrés à gauche, Thomas Piketty et Daniel Cohen, donne naissance à la nouvelle vitrine de la recherche économique française. Conçue pour attirer à terme un financement majoritairement privé, la PSE est une fondation associant à la fois grandes écoles, universités et centres de recherche. Elle accueillera 200 chercheurs et près de 300 étudiants français et étrangers sur un site tout proche de la cité U qui sera prochainement reconstruit, grâce aux 45 millions d'argent public. La PSE, qui s'inspire de l'exemple de la London School of Economics, compte subvenir à ses besoins avec les seuls intérêts de son capital. «On espère disposer d'un pécule de 40 à 50 millions à l'horizon 2010 , ambitionne le chercheur Thomas Piketty qui prend très au sérieux son nouveau rôle de gestionnaire. A l'image de ce qui se fait dans les universités anglaises ou américaines, notre richesse sera la garantie de notre indépendance et de la confiance de nos donateurs.» La PSE vue par quatre de ses acteurs.
Thomas Piketty
Directeur d'études à l'Ecole des hautes études et président de la PSE, 35 ansbr />
«Les différentes sensibilités pourront cohabiter»br />
«Il n'est pas question de faire de l'école un îlot de résistance gauloise face à l'océan de l'orthodoxie libérale anglo-saxonne. Mais on ne voit pas le monde de la même façon depuis Paris ou le MIT de Boston ! Nous devons imposer nos propres grilles de lecture au plan international et sur divers sujets comme la mondialisation financière ou le marché du travail. Une autre particularité est que notre vision de l'économie est plus ouverte sur les autres disciplines, plus perméable aux influences d'autres sciences sociales. Outre-Atlantique, l'histoire économique, c'est de l'éco à 100 % et c'est très excessif. Le fait d'avoir mêlé plein d'institutions et de traditions différentes au sein de cette école est aussi une manière de signifier qu'en France, les différentes sensibilités et disciplines pourront cohabiter. On ne sera pas qu'une école d'économie stricto sensu !»
Antoine d'Autume
Professeur d'économie à Paris-I et vice-président de la PSE, 57 ans
«J'espère que l'école aura une influence sur le pouvoir»
«La PSE avec ses particularités en termes de financement et de statut apporte des éléments de réponse aux maux dont souffre l'université française. Cette école montre la voix pour aller vers une simplification de l'enseignement supérieur et sortir du vieux clivage université de masse contre grandes écoles de l'élite. Il y avait clairement un risque que l'université soit absente et donc marginalisée. En associant Paris I, cela a été évité. Grâce à ce type de structures souples, l'université va pouvoir être présente à l'étranger à travers le label PSE. Il sera accolé à toutes les publications de ses différents organismes. Même si les choses changent, on a longtemps souffert du peu de dialogue entre la recherche économique et les sphères dirigeantes, sorties de l'ENA. Un organisme comme le Conseil d'analyses économiques qui permet au Premier ministre de rencontrer régulièrement des économistes a permis un premier rapprochement. Il faut aller plus loin. J'espère que la PSE aura une réelle influence dans les cercles du pouvoir. A l'image par exemple du rôle joué par la London School of Economics sur la politique anglaise.»
Pierre-Yves Geoffard
Directeur de recherche au CNRS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris, 40 ans
«Il s'agit d'attirer des chercheurs étrangers à Paris»
«Cette école permettra peut-être de mieux faire comprendre le système français à l'étranger, ses spécificités économiques et sociales en allant au-delà des caricatures qu'on lit parfois. Il s'agit aussi de réussir à attirer des chercheurs étrangers à Paris avec des profils nouveaux. Je pense aux Chinois, aux Indiens, aux Coréens que l'on voit beaucoup dans les universités américaines et pas beaucoup en France. La PSE enfin jouera son rôle pour irriguer le débat public sur les questions économiques. Trop souvent en France, on construit des argumentaires sur du sable et le manque de contre-expertise est flagrant. On a pu le constater sur la notion de bouclier fiscal pour laquelle il a fallu s'en remettre au seul chiffrage de la direction générale des impôts. C'est aussi l'espoir de mieux nous faire entendre et d'aider les politiques, au-delà des contingences idéologiques, à faire les bons choix en matière de politique fiscale ou autre.»
Francesco Avvisati
Italien, doctorant à Normale sup, 24 ans
«Une autre voix sur le chômage ou les inégalités»
«C'est d'abord un label qui devrait permettre à la France et à l'Europe de mieux se distinguer dans le championnat mondial de l'enseignement et la recherche. Grâce à la PSE, on pourra atteindre une masse critique qui fait défaut actuellement. Un autre enjeu est d'apporter la preuve que l'on peut perpétuer un enseignement largement public, quasi gratuit et performant. Je crois que beaucoup de chercheurs sont très attachés à ce modèle dans lequel l'Etat reste présent et qui n'en est pas moins capable de s'adapter aux exigences de notre temps. S'il n'est pas question de se faire les porte-parole d'une vision française ou européenne de l'économie, je crois que la PSE saura faire entendre sa différence sur des sujets qui ne sont pas vraiment des priorités dans le monde anglo-saxon. Je pense au creusement des inégalités, au chômage qui intéresse peu les Anglo-Saxons.»