Le Monde

3 septembre 2003, page 5

 

 

M. Raffarin parie sur les baisses d'impôts pour relancer l'économie

 

Le gouvernement, qui met la dernière main aux arbitrages budgétaires, n'a pas l'intention de renoncer à sa politique de réduction de la pression fiscale. Le Parti socialiste et l'UDF demandent au premier ministre de différer l'éxecution des promesses de Jacques Chirac.

 

L'engagement du président de la République de baisser de 30 % l'impôt sur le revenu se heurte à l'augmentation des déficits publics mais aussi, depuis quelques semaines, aux critiques de l'opposition et aux réserves de certains membres de sa majorité.

 

Si le président de l'UMP, Alain Juppé, estime que la baisse d'impôt est "la seule manière de redonner de la vigueur à notre système économique" et de "réenclencher le cercle vertueux de la croissance et de l'emploi", le président (UMP) de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Pierre Méhaignerie, n'est pas du même avis : "le gouvernement a déjà engrangé pour 2004 des dépenses supplémentaires pour 3 milliards d'euros -notamment sous forme de réductions fiscales-. (...) Compte tenu du niveau de déficit prévisible, la raison commanderait d'en rester là", indiquait-il dans Le Monde du 27 août. Le président de l'UDF, François Bayrou, a, lui, suggéré au gouvernement de renoncer à la baisse des impôts en 2004 pour financer les mesures de "solidarité avec les plus âgés".

 

L'opposition demande au gouvernement de ne pas baisser les impôts, en raison du niveau des déficits et de la nécessité de donner des moyens aux services publics. Alors que le gouvernement Jospin avait fait de la baisse de l'impôt sur le revenu l'une de ses priorités, que Dominique Strauss-Kahn avait allégé la fiscalité sur les stock-options et que Laurent Fabius publiait le 28 août 2001 dans Le Mondeune tribune titrée "Baisser les impôts pour préparer l'avenir", les principaux dirigeants socialistes plaident aujourd'hui pour une "réhabilitation de l'impôt" comme "un devoir citoyen".

 

Les baisses d'impôts sont-elles efficaces pour relancer la croissance ?

 

Pour le gouvernement, la réduction de la pression fiscale permettrait de redonner de l'oxygène à l'économie, en stimulant la consommation et en encourageant l'initiative.

 

Selon les économistes, ces deux effets (relance de la demande et de l'offre) n'ont pas le même impact. Jean-Paul Betbèze, économiste au Crédit lyonnais et membre du conseil d'analyse économique du premier ministre, est persuadé que le niveau des impôts en France devient dissuasif et qu'à force de "désindustrialisation et de détertiarisation", la "matière fiscale se met à disparaître". Mais il juge inutile la baisse des impôts sur le revenu des classes moyennes qui risque de se traduire par une surconsommation de produits importés et donc par un effet très limité sur la croissance nationale. En revanche, affirme-t-il, une baisse des impôts pour les classes aisées permettrait de relancer la machine.

 

Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques et membre, lui aussi, du conseil d'analyse économique, est au contraire partisan d'une relance par la demande. "Les baisses d'impôts non financées ont un effet positif sur la conjoncture" affirme-t-il, "surtout si elles portent sur les catégories de population qui ont la propension à consommer la plus forte, c'est-à-dire, les plus modestes". M. Fitoussi estime que, dans la conjoncture actuelle, "la hausse des impôts serait folie" et que "seule leur baisse peut contribuer à rassurer les Français sur leur avenir".

 

Une position contre laquelle s'insurge Thomas Piketty, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. "Il ne faut pas baisser l'impôt sur le revenu qui est l'un des plus faibles d'Europe et qui a déjà été ramené de 5 à 3,5 points de PIB en dix ans", estime-t-il. Selon lui, l'expérience montre que la baisse de l'impôt sur le revenu en France est un leurre, la pression fiscale ne cessant d'augmenter à travers d'autres prélèvements. Pour M. Piketty, la priorité est de rééquilibrer le budget et les régimes de retraite ou d'assurance maladie pour "redonner confiance dans l'avenir. Sinon les agents économiques préféreront épargner que consommer".

 

La France a-t-elle les moyens de baisser les impôts ?

 

Au regard de l'évolution des déficits publics, la réponse est négative. En 2004, comme la France vient de le signifier à la Commission européenne, les déficits cumulés dépasseront 4 % du produit intérieur brut, c'est-à-dire 60 milliards d'euros, au-delà de la limite des 3 %. Conséquence, la règle européenne impose que des mesures soient prises pour réduire chaque année d'au moins 0,5 % le déficit structurel. La baisse des impôts va à l'encontre de cette logique en creusant le déficit. La dette publique va dépasser en 2004 le montant symbolique de 1 000 milliards d'euros. Cela représente plus de 16 000 euros par Français, plus de 43 000 euros par actif. Or la dette d'aujourd'hui est un impôt à venir.

 

Derrière cette logique, le gouvernement peut adopter une politique volontariste en s'appuyant sur deux arguments. Le premier porte sur la conjoncture. Certes, la croissance en 2003 est très ralentie, voire nulle. La Caisse des dépôts en s'appuyant sur un indicateur avancé estime que la croissance ne dépassera pas 0,2 % en 2003. Mais les signes de rebond existent aux Etats-Unis et en Allemagne. Et Bercy compte bien que cela profitera à l'économie française. Deuxièmement, la partie la plus inquiétante dans l'évolution des déficits publics est celle de la sécurité sociale et en particulier de la branche maladie qui doit faire l'objet d'une réforme.

 

Quelles sont les mesures en cours d'arbitrage ?

 

La mesure phare : la poursuite de la baisse de l'impôt sur le revenu. L'Elysée réclame 3 %, pour pouvoir afficher une diminution de 10 % en trois ans. Le ministère des finances préférerait une mesure beaucoup plus modeste. En effet, trois points représentent un allégement fiscal de 1,8 milliard d'euros. Par souci de justice et pour ne pas privilégier les seuls hauts salaires, la majorité réclame, par ailleurs, une revalorisation de la prime pour l'emploi, cet impôt négatif versé pour inciter les sans emplois à retravailler.

 

D'autres mesures sont à l'arbitrage. Bercy voudrait notamment supprimer l'avoir fiscal, un mécanisme qui n'existe qu'en France, mais, à Matignon, on est attentif à ne pas donner un signal négatif à la Bourse et aux épargnants et il aurait été décidé d'étaler cette mesure dans le temps. Le gouvernement doit également décider de l'importance de l'avantage fiscal qu'il accorde au nouveau produit d'épargne retraite, le PEIR, créé par la loi sur les retraites. Quant à la baisse de la TVA sur la restauration pour laquelle Bruxelles doit encore donner son feu vert, le gouvernement aurait décidé, dans tous les cas, de reporter sa mise en œuvre à la fin 2004 afin de ne pas aggraver davantage le déficit budgétaire.

 

Sophie Fay et Christophe Jakubyszyn