Le Monde
2 septembre
2000, page 6
FRANCE
Le plan de
baisse des impôts
Une feuille
de route pour les prochaines campagnes électorales
MAUDUIT
LAURENT
ANALYSE
HABILE,
magnifiquement habile !... A examiner le détail des baisses d'impôts que le
gouvernement vient d'annoncer, on peine, dans un premier mouvement, à ne pas en
saluer les prouesses. Voilà une réforme jospinienne en diable, subtilement
dessinée, évitant tous les écueils politiques, économiques ou techniques sur
lesquels ce genre de plan vient ordinairement buter.
La première
prouesse, c'est le paquet-cadeau fiscal dans son ensemble. Alors que le
gouvernement a connu des heures sombres en gérant en dépit du bon sens la
tumultueuse affaire de la " cagnotte ", il reprend aujourd'hui la
main en affichant clairement sa détermination de redonner au pays, sous forme
de baisse d'impôt, les dividendes de la croissance. Il y aura, bien sûr,
quelques esprits grincheux, à gauche aussi bien qu'à droite, pour observer que
M. Jospin a été un peu trop généreux ou un peu trop chiche. Il reste que les
120 milliards de francs d'allégements fiscaux annoncés pour les trois
prochaines années, constituent l'un des plans les plus ambitieux de diminution
de la pression fiscale mis en oeuvre depuis le premier choc pétrolier. M.
Jospin qui, en d'autres temps, avait espéré que la rigueur ne soit qu'une
" parenthèse ", reste, en quelque sorte, fidèle à lui-même : puisque
la croissance génère des richesses nouvelles, les Français - tous les Français
- vont pouvoir en tirer avantage.
Tous les Français...
C'est la seconde prouesse de ce plan : nul n'a été oublié. Ni les hauts
revenus, qui profiteront d'une baisse du taux marginal de l'impôt sur le
revenu. Ni les smicards, dont la CSG sera annulée. Ni les automobilistes, qui
n'auront plus à acquitter leur vignette. Ni les patrons, qui pourront se
réjouir de la suppression de la surtaxe à l'impôt sur les sociétés. Du même
coup, chacun dans la majorité " plurielle " pourra y trouver son
compte : le PCF pourra saluer le geste en faveur de la CSG; M. Fabius pourra
engranger les concessions - mesurées - que lui a faites le premier ministre,
même si M. Jospin a bien fait sentir que c'est à Matignon et non à Bercy que se
prenaient les véritables décisions (lire ci-dessus). Dans la foulée, la droite
se retrouve Gros Jean comme devant, éjectée de son cheval de bataille favori :
la baisse des impôts.
Cette
prouesse-là, d'ailleurs, n'est pas seulement politique ou économique. Elle est
aussi technique. Devant la grogne que suscite la montée des prix des produits
pétroliers, le gouvernement a en effet un moment été tenté, par exemple, de
verser dans la démagogie en baissant aussi la fiscalité pétrolière, ce qui
aurait été budgétairement très onéreux, pour un impact parfaitement incertain.
Il a su ne pas tomber dans cette ornière, préférant à cette disposition la
suppression de la vignette, qui est une mesure socialement discutable mais dont
l'impact fiscal est plus assuré.
MESURES TOUS
AZIMUTS
Et pourtant,
ces habiletés multiples ne suffisent pas à donner une cohérence à ce plan. En
multipliant les mesures tous azimuts, le gouvernement peut caresser l'espoir de
s'attirer les bonnes grâces des contribuables les plus divers, mais il ne peut
guère prétendre conduire une véritable " réforme " fiscale, comme
l'avait annoncé le ministre des finances (Le Monde du 25 août).
Un seul
exemple : l'impôt sur le revenu. De longue date, deux thèses s'affrontent sur
le sujet. A gauche, on a longtemps défendu l'idée que ce prélèvement, l'un des
rares qui soit progressif, devait être défendu pour respecter la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, selon laquelle la " contribution
commune " aux dépenses publiques " doit être également répartie entre
tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Et de nombreux économistes
sont venus conforter cette thèse, à commencer par Thomas Piketty, en faisant
valoir que les fluctuations des taux d'imposition les plus élevés n'avaient pas
eu, en France, de véritable effet anti-économique. A droite, en revanche, on
fait valoir à la moindre occasion - l'affaire Laetitia Casta est encore dans
toutes les mémoires -, que les taux actuels font le lit des délocalisations
fiscales et que la France pâtit d'une fuite de cerveaux ou de talents. Or, on
comprend bien que ce débat est décisif. Si la première thèse est la bonne, la
gauche prend une lourde responsabilité en touchant à l'impôt sur le revenu. Si
c'est la seconde qui est pertinente, compte tenu des avancées de la nouvelle
économie, le taux marginal devrait être abaissé très fortement : autour des 40
% que recommande la droite depuis longtemps.
Or le
gouvernement reste dans l'entre-deux. En brisant le tabou des taux supérieurs
de l'impôt sur le revenu, il offre aux hauts revenus une baisse d'impôt
beaucoup plus forte qu'aux bas revenus (dans le cas d'un célibataire, 1 048
francs en 2003 pour un smicard et 6 596 francs pour un salaire de 450 000
francs). Mais la baisse du taux supérieur est optiquement si faible qu'elle ne
devrait guère freiner le mouvement de délocalisation fiscale, si tant est que
le danger soit réel. Du coup, cette réforme de l'impôt sur le revenu apparaît
un peu bancale. Sa cohérence économique est obscure et sa logique politique
discutable. A bon droit, la gauche pourra dire que c'est un mauvais coup contre
l'impôt sur le revenu - l'impôt citoyen par excellence -, et la droite pourra
n'y voir que de la poudre aux yeux.
Faut-il même
employer le terme de " réforme " ? Au début de la législature, sans
doute le gouvernement a-t-il eu une grande ambition fiscale, comme en témoigne
la réforme de la CSG. Il bénéficie, aujourd'hui, d'une conjoncture
exceptionnelle, indispensable pour engager une véritable réforme de la
fiscalité. A quelques encâblures des échéances législatives et présidentielle
de 2002, il n'en tire pas parti. Sauf pour distribuer petits et gros cadeaux.
LAURENT
MAUDUIT