Libération
Mercredi 27 janvier 1999, page 15
POLITIQUES
Impôt sur le revenu: Bercy a des pensées
coupables. Le baisser serait rentable électoralement, mais contraire aux
promesses de diminuer la TVA.
RAULIN Nathalie
Rien de mieux pour s'attirer les bonnes grâces des "classes moyennes innovantes" qu'une réforme de l'impôt sur le revenu. Et Lionel Jospin se préoccupe de plus en plus activement de ce bataillon d'électeurs que Jacques Chirac peut à l'improviste envoyer aux urnes pour une présidentielle anticipée. A Bercy, on admettait hier qu'il s'agissait bien là d'"une piste de travail". Mais à écouter les déclarations officielles de Dominique Strauss-Kahn, rien ne presse. S'il ne s'est jamais interdit de toucher à cet impôt, comme aux autres, le ministre de l'Economie fixe un horizon temporel vague voire lointain, "dans les années qui viennent".
Ballons d'essai. L'histoire semble s'accélérer. "La question est de savoir si les niveaux actuels de l'impôt sur le revenu ne sont pas des niveaux qui vont contre la prise de risques économiques", précisait-on hier à Bercy. L'entourage de Lionel Jospin allumait aussitôt un contre-feu: "Il est toutefois exclu de baisser le taux de la dernière tranche d'imposition, à savoir 54%."
Pour un sujet "prématuré", le gouvernement semble décidément bien avancé dans sa réflexion. Interrogé la semaine dernière dans le cadre du Forum de l'Expansion, Lionel Jospin était resté allusif: "On commence à réfléchir sur un certain nombre de pistes notamment sur les problèmes de revenus." Mais les "confidences" arrachées, et les réponses forcément officieuses ressemblent à s'y tromper à autant de ballons d'essai à l'adresse de la majorité plurielle.
Et pour cause: l'impôt sur le revenu est le seul impôt réellement progressif, autrement dit, plus on est riche plus on paie. Faute d'avoir des revenus suffisants, plus de la moitié des ménages français n'y sont pas soumis. C'est donc à l'autre moitié, la plus aisée, que s'adresserait le gouvernement.
Voilà qui ne s'inscrit pas vraiment dans la ligne du programme socialiste d'avant-législatives: en arrivant à Matignon, Jospin n'avait rien eu de plus pressé que de stopper net le reprofilage de l'impôt sur le revenu décidé en 1996 par Alain Juppé. Le virage de bord brutal qui se dessine pourrait ne pas plaire dans les rangs socialistes.
"Notre priorité, c'est de baisser les impôts indirects", réaffirmait-on hier à la commission des finances de l'Assemblée nationale. "Les baisses de TVA sont plus conformes à notre souci de justice fiscale qu'une modification du barème de l'impôt sur le revenu. Lors de la discussion budgétaire, nous avons clairement indiqué au gouvernement que nous souhaitions qu'il agisse auprès de Bruxelles pour que nous puissions dès cette année réduire à 5,5% (au lieu de 20,4% actuellement) la TVA sur les travaux d'entretiens du bâtiment." Coût de l'opération: de l'ordre de 9 milliards de francs.
Halte au brûlot. La nouvelle orientation du gouvernement risque donc de faire polémique. D'autant que sa justification économique est loin d'être convaincante. "Ce serait bon pour la croissance et l'emploi", indique Bercy. L'explication est peu courte. Et pas forcément fondée. En novembre, Thomas Piketty, chercheur au CNRS, publiait une étude aux conclusions dérangeantes: la baisse des taux de l'impôt sur le revenu, extrêmement coûteuse pour les finances publiques, n'a qu'un impact dérisoire sur l'activité économique.
L'affaire en serait restée là si le rapport
n'avait été édité sous les couleurs de la direction de la prévision, la DP,
l'un des pilier du ministère des Finances. Apprenant la bévue, le cabinet de
Strauss-Kahn avait violemment réagi et prié la DP d'interrompre la diffusion du
brûlot. Dans les couloirs de Bercy, on murmurait déjà que le gouvernement
préparait ses arrières. Au cas où....