Libération
Vendredi 5 mars 1999, page 6
REBONDS
Une politique de la confiance.
DUHAMEL Alain
Politiques. Dès que l'on entreprend de faire bouger une vache sacrée, un noble brahmane surgit aussitôt et appelle la colère des dieux sur l'impie. Pour avoir défendu la thèse d'un allègement modeste de l'impôt sur le revenu au bénéfice des cadres et des enseignants composante stratégique et fugueuse de l'électorat social-démocrate , l'auteur de ces lignes provoque le courroux de Thomas Piketty, chroniqueur économique de ce journal (Libération, lundi 1er mars).
Esprit agile et original mais prompt à se hérisser lorsque l'on pénètre dans l'enceinte sacrée de ses compétences sans partager ses vues, Piketty s'enflamme assez pour employer un argument baroque... mais d'autant plus révélateur: "Si François Hollande et Martine Aubry ont pris position contre la baisse de l'impôt sur le revenu qu'envisagerait DSK, c'est parce que les socialistes seraient prisonniers de leurs vieilles vaches sacrées idéologiques", aurais-je écrit. En fait, s'il était bien question des honorables mammifères, jamais les noms de Martine Aubry, de Dominique Strauss-Kahn ou de François Hollande n'ont été prononcés, à aucun moment les conflits internes du PS n'ont été évoqués: ce n'était simplement pas le sujet. Il s'agissait de traiter d'un choix politique et symbolique, en rien des querelles de personnes ou des rivalités de clans. Piketty injecte du politicien microcosmique là où il ne figurait pas. Au tennis, on compterait une faute de pied.
Reste heureusement l'essentiel, c'est-à-dire le débat de fond, qui, lui, mérite bien d'être ouvert. Hypothèse optimiste mais envisageable: si le gouvernement disposait d'une petite marge budgétaire supplémentaire pour l'an prochain, serait-il possible d'envisager un modeste allègement des prélèvements fiscaux, et si oui lequel choisir? Les points de vue divergent ardemment là-dessus, avec ce brin de fièvre spécifique qu'entraînent toujours les discussions qui portent sur les impôts et touchent également aux passions idéologiques.
Un large accord existe en faveur de baisses ciblées de TVA dans des secteurs particulièrement créateurs d'emplois.
C'est après que le débat s'embrase. Les uns rêvent d'une réforme, souhaitable et difficile, de la taxe d'habitation. D'autres, comme Piketty, en tiennent pour une réforme des cotisations patronales afin d'alléger les prélèvements sociaux qui handicapent les entreprises de main-d'oeuvre: cette piste-là ne manque pas de bons arguments. Une baisse de l'impôt sur le revenu forcément modique, car la conjoncture n'est pas glorieuse présente pourtant un avantage particulier: elle relève d'une politique de la confiance. Si les vingt dernières années ont démontré quelque chose, c'est bien que la psychologie exerce une influence déterminante sur les comportements économiques.
Après des années de mélancolie collective et de doute délétère certes compréhensibles, mais nettement plus marqués que chez nos voisins , les Français retrouvent enfin un meilleur moral. Cela se traduit par une consommation élevée et des investissements revigorés. Allégé, fût-ce homéopathiquement, l'impôt sur le revenu ne pourrait qu'étayer ce mouvement.
Il ne concernerait certes que la moitié des ménages, mais il enverrait un signal positif aux classes moyennes salariées. Ce serait une mesure de justice sociale (les revenus du travail
étant plus imposés que les revenus financiers).
Ce serait surtout un geste de confiance dans l'avenir, notamment en direction des cadres, enseignants, intellectuels, qui constituent aujourd'hui l'avant-garde taxée du salariat.