Le Monde
6 mars 1998,
page 8
Des
économistes préconisent une baisse des charges sociales au niveau européen
MM.
Blanchard et Fitoussi suggèrent à M. Jospin une initiative pour relancer la
croissance
MAUDUIT
LAURENT
Le Conseil
d'analyse économique, créé par Lionel Jospin, a publié, mercredi 4 mars, un
nouveau rapport. Dans celui-ci, Jean-Paul Fitoussi, président de l'OFCE, et
Olivier Blanchard, professeur à Harvard, expliquent que seule une croissance
forte, proche de 4 % l'an, permettra de faire reculer sérieusement le chômage.
Ils suggèrent, au niveau européen, une baisse concertée des charges pesant sur
les entreprises.
MÊME À
GAUCHE, le débat sur la meilleure façon de réduire le chômage n'est pas
tranché, certains continuant à prôner la diminution des charges sociales. On en
a eu une illustration récente avec la dernière note de la Fondation Saint-Simon
sur "les créations d'emplois en France et aux Etats-Unis" : lors de
la publication de cette étude rédigée par l'économiste Thomas Piketty, partisan
d'une politique active de réduction des charges, de nombreuses personnalités de
gauche sont visiblement tombées sous le charme. En ira-t-il de même avec une
autre étude, publiée mercredi 4 mars, par le Conseil d'analyse économique que
Lionel Jospin a installé à ses côtés ?
Intitulée
"Croissance et chômage", cette étude, qui a été débattue à l'occasion
de deux séances de cette instance réunissant les économistes français les plus
réputés, en présence du premier ministre, a été élaborée par Jean-Paul
Fitoussi, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques, et
Olivier Blanchard, professeur à Harvard. En préambule, ces deux experts
observent que "l'histoire de la croissance française depuis le milieu des années
60 est celle d'une décélération continue", et cela, disent-ils, à cause de
trois facteurs principaux : "une baisse du rythme de la croissance de la
productivité potentielle"; "une diminution du taux d'emploi";
"enfin et surtout, depuis le début des années 90, une insuffisance
globale".
De ce
constat, ils tirent une conclusion principale : la résorption du chômage pose
d'abord la question de la croissance, c'est-à-dire d'une politique économique
d'expansion, en particulier pour soutenir la demande. "Quelle que soit la
nature du chômage, dit l'étude, sa réduction implique une croissance plus forte
pendant un certain temps. Nos estimations montrent que, si l'on se donne comme
objectif de revenir, en cinq ans, à un taux de chômage de 7,5 %, la croissance
requise serait d'environ 3,6 %-3,8 % par an."
Les deux
économistes font donc des suggestions pour conforter la croissance. L'une
d'entre elles retient particulièrement l'attention : une baisse coordonnée des
charges sociales en Europe.
HAUSSE DU
POUVOIR D'ACHAT
"Une
baisse des cotisations sociales payées par les salariés les moins rémunérés se
traduirait par une augmentation immédiate de leur pouvoir d'achat, sans pour
autant augmenter les coûts des entreprises, explique ainsi l'étude. (...) Si
cette mesure était appliquée à l'échelle européenne, une simulation réalisée
(...) suggère que, pour un point de PIB de réduction des cotisations sociales
salariées dans toute l'Union européenne, le taux de croissance de l'Union
serait majoré d'environ un point chacune des trois premières années, et d'un
peu plus d'un point en France; le taux de chômage de l'Union comme celui de la
France serait réduit d'un point et demi au bout de trois ans; le déficit
budgétaire ne se creuserait que la première année, mais la mesure dégagerait un
très léger excédent financier dès la troisième année."
Au sein du
Conseil d'analyse économique, la suggestion a, certes, été discutée, en
particulier par Edmond Malinvaud, professeur au Collège de France, qui s'est
interrogé sur la possibilité d'atteindre sans inflation un taux de croissance
proche de 4 % l'an pendant cinq ans. De plus, cette proposition n'est pas
forcément contradictoire avec la politique de réduction du temps de travail
voulue par le gouvernement. Ce dernier pourra même faire valoir que la réforme
des 35 heures prévoit des allègements de charges, mais que, résultant d'accords
contractuels, ceux-ci seront plus efficaces qu'une mesure générale de baisses
de charges.
Sans être
critique à l'égard de la politique du gouvernement, ce rapport dégage une piste
des allègements de charges qui n'est pas la priorité de Lionel Jospin. S'en
inspirera-t-il ? En tout état de cause, la coordination européenne des
politiques sociales paraît difficile à mettre en oeuvre.
LAURENT MAUDUIT