Chaque mardi: Économiques
Revenu de solidarité active : l'imposture
Par Thomas
Piketty
QUOTIDIEN : mardi 2 septembre 2008
Depuis la semaine dernière, il est enfin possible de débattre précisément du système de Revenu de solidarité active (RSA) proposé par le gouvernement. Récapitulons. Actuellement, une personne seule sans revenu touche 450 euros par mois de RMI. Si elle trouve un emploi payé au SMIC, son salaire net mensuel sera de 600 euros à temps partiel (20 heures), et de 1 000 euros à temps plein (35 heures). Depuis 2000, les salariés modestes bénéficient de la prime pour l'emploi (PPE), égale à 8 % du salaire, soit un complément de revenu de 50 euros par mois pour un salaire de 600 euros, et de 80 euros pour un salaire de 1 000 euros. Au-delà, la PPE diminue et s'annule complètement au niveau d'un salaire de 1 600 euros. Elle disparaît encore plus vite pour ceux qui ont un conjoint qui travaille, ce qui n'a guère de sens d'un point de vue économique : la puissance publique ne devrait-elle pas se préoccuper d'encourager le travail de tous, indépendamment de la situation de famille, plutôt que de savoir qui vit avec qui ? Outre la PPE, les salariés à temps partiel sortant du RMI ont également droit au dispositif d'intéressement, qui permet de conserver temporairement une partie du RMI. Etendu en 1998, ce système permet par exemple à une personne seule trouvant un emploi à 600 euros de conserver douze mois un complément de 150 euros au titre du RMI. Que change exactement le RSA à ces dispositifs complexes ? Pas grand-chose, et pas forcément dans la bonne direction. Le RSA consiste à laisser la PPE en l'état, mais à augmenter le montant de l'intéressement (pour un salaire de 600 euros, le complément passe de 150 euros à environ 200 euros), et surtout à le rendre permanent et à l'étendre à tous les salariés à temps partiel : plus de limite de douze mois, et plus besoin de passer par la case RMI pour en bénéficier. Supprimer cet effet pervers est sans doute une bonne chose - et quoi qu'il en soit, une bonne nouvelle pour le pouvoir d'achat des nouveaux bénéficiaires, ce qui n'est pas rien. Mais s'imagine-t-on vraiment que le passage de 150 euros d'intéressement à 200 euros de RSA et la fin de la limite de douze mois vont soudainement doper les taux de sortie du RMI vers l'emploi à temps partiel ? D'après François Bourguignon, président du comité d'évaluation du RSA, les expérimentations n'ont pour l'instant trouvé aucun effet statistiquement significatif, bien qu'elles aient été menées avec les collectivités volontaires et donc motivées. Sans compter que pour tous ceux qui ont déjà un emploi à temps partiel, la création du RSA, couplée avec le gel annoncé de la PPE pour les salariés à temps plein, aura pour conséquence une forte réduction de l'écart de revenu entre emplois à 20 heures et à 35 heures, donc des incitations moindres à passer du temps partiel au temps plein. Il est fort possible que cet effet négatif, que les expérimentations n'ont pas eu la possibilité d'évaluer, l'emporte sur le modeste effet positif. L'impact global sur l'offre de travail de cette nouvelle forme de subvention au temps partiel que constitue le RSA - et que ne manqueront pas d'utiliser les employeurs, en proposant davantage d'emplois à temps partiel - serait alors négatif. Aux antipodes de l'objectif affiché. En tout état de cause, le fait central est que cette réforme brouillonne ne s'attaque nullement au problème structurel qui mine ces dispositifs depuis des années, à savoir leur complexité et leur manque de lisibilité. Au contraire : la réforme entend faire coexister deux dispositifs distincts. L'un pour les salariés à temps partiel, géré par les caisses d'allocations familiales suivant une logique de minima social (le RSA) ; l'autre pour les salariés à temps plein, géré par l'administration fiscale suivant une logique de crédit d'impôt (la PPE). Les deux dispositifs seront administrés suivant des règles et périodicités différentes (le trimestre dans un cas, l'année dans l'autre), ce qui est techniquement absurde et promet bien du plaisir aux salariés pauvres basculant d'un système à l'autre. Qu'aurait-on pu faire ? Une réforme plus ambitieuse, fondée sur une révolution fiscale, permettant?à la France de se doter enfin d'un impôt progressif sur le revenu moderne et unifié. Fusion de la CSG et de l'IR, prélèvement mensuel à la source, individualisation complète de l'impôt : les ingrédients sont bien connus, mais le courage et la volonté politiques manquent. Un tel instrument permettrait pourtant d'intégrer naturellement l'ensemble des dispositifs de RSA et de PPE sous forme de crédit d'impôt. Ce qui serait bien plus efficace techniquement, et surtout plus satisfaisant du point de vue de la transparence démocratique. Car les salariés modestes sont avant tout des contribuables comme les autres, et non des assistés. Qu'ils travaillent à temps complet ou à temps partiel, les smicards versent aujourd'hui l'équivalent de deux mois de salaire au titre de la TVA, plus d'un mois de salaire au titre de la CSG, sans compter les taxes indirectes annexes (essence, tabac, alcool, etc.) et les cotisations sociales, soit un taux de prélèvement global supérieur à 50 %. Et contrairement à ce que l'on essaie de faire croire, les augmentations de PPE ou de RSA ne sont pas prêtes de les transformer en allocataires nets ! La gauche doit se saisir d'urgence de cette question fiscale - d'autant plus que Nicolas Sarkozy s'illustre chaque jour par les errements de sa politique dans ce domaine. Après avoir créé plus de 15 milliards d'euros de nouvelles niches fiscales dans un système qui en compte déjà beaucoup trop, et après avoir constaté que les caisses étaient trop vides pour financer le RSA, voici donc que notre président a eu l'idée géniale d'inventer un nouvelle taxe de 1 milliard d'euros sur les revenus de placement. Recette classique souvent utilisée dans le passé pour colmater les trous des finances sociales françaises, ce prélèvement a en outre la particularité intéressante d'être régressif : avec le bouclier fiscal, les gros patrimoines seront de facto exonérés de cette taxe de 1 %. Pas étonnant que Nicolas Sarkozy et Martin Hirsch s'entendent bien : ils ont le même goût pour les slogans clinquants sur la forme, et pour l'improvisation et le bricolage sur le fond. Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris. http://www.liberation.fr/rebonds/329439.FR.php © Libération
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