économiquesChaque lundi
Civilisation ou moral des ménages
Par Thomas
Piketty
QUOTIDIEN : lundi 14 janvier 2008
A défaut de résultats sur sa politique du pouvoir d'achat, notre imaginatif Président nous propose donc une politique de civilisation… La ficelle est d'autant plus grosse qu'il est possible de mener aujourd'hui en France une politique efficace du pouvoir d'achat, pour peu que l'on se donne les bons outils. Quand on les interroge, les Français fournissent d'ailleurs la réponse de façon parfaitement claire. Fort logiquement, ils placent la baisse de la TVA en tête des politiques permettant de relancer le pouvoir d'achat. Or non seulement le gouvernement n'a jamais envisagé une telle baisse, mais il a clairement laissé entendre, pendant les législatives, qu'une hausse de la TVA pourrait être nécessaire pour financer son paquet fiscal de 15 milliards d'euros (l'équivalent d'une augmentation de deux points de TVA à taux plein) et sa ribambelle de niches fiscales au contenu idéologique fort mais à l'efficacité économique plus que douteuse. Tous les indicateurs confirment que l'effondrement du moral des ménages observé ces six derniers mois, exceptionnellement rapide après une élection présidentielle, date de ce péché originel. Et pourtant Sarkozy semble vouloir s'entêter sur son projet d'augmentation de la TVA dite sociale («mal présenté»), et explique benoîtement l'hiver venu qu'il ne peut pas vider les caisses qu'il s'est soigneusement appliqué à vider à la veille de l'été. Erreur économique de cigale d'autant plus grave qu'il existe aujourd'hui un outil permettant in fine de mettre en place des baisses ciblées et efficaces de TVA : la prime pour l'emploi (PPE). Crée en 2000 pour alléger la pression fiscale sur les bas salaires (les socialistes souhaitaient initialement réduire la CSG, ce qui fut censuré sans raison par le Conseil constitutionnel), l'objectif de la PPE est de revaloriser le travail de ceux qui se lèvent tôt, travaillent dur… et gagnent peu. Elle a été relevée plusieurs fois depuis 2002, preuve que la droite sait parfois faire son mea culpa - sur la PPE comme sur le pacs, par exemple - et reprendre a son compte les réformes du camp adverse. Son montant reste toutefois modeste : la PPE moyenne versée aux quelque 10 millions de foyers bénéficiaires est d'à peine 500 euros (la prime maximale avoisine les 900 euros), pour un budget total de 5 milliards d'euros. C'est très peu par rapport au total des prélèvements pesant sur les travailleurs à bas salaire. Par exemple, un salarié à plein-temps rémunéré au Smic et consommant tout son revenu (soit environ 12 000 euros net par an) verse actuellement l'équivalent de deux mois de salaires au titre de la TVA, plus d'un mois de salaire au titre de la CSG, sans compter les taxes indirectes annexes (essence, tabac, alcool, etc.), les cotisations sociales… soit un taux de prélèvement global supérieur a 50 %. Une mesure simple et lisible pourrait consister à doubler la PPE, ce qui reviendrait grosso modo à réduire de moitié la TVA acquittée par les salariés proches du Smic. D'un coût de l'ordre de 5 milliards d'euros, cette mesure aurait eu un impact sur le pouvoir d'achat beaucoup plus fort que le paquet fiscal, tout en préservant des marges de manœuvre pour réduire la dette et investir dans l'avenir. Il faudrait au passage moderniser profondément l'administration fiscale de façon à assurer le versement mensuel de la PPE sur les bulletins de salaires - actuellement elle est versée avec un an de retard, et personne n'y comprend rien. Cette politique efficace du pouvoir d'achat permet en outre de promouvoir l'idée d'une civilisation fondée sur le travail et la transparence démocratique et fiscale. Aux antipodes des projets Sarkozy-Hirsch de revenu de solidarité active (RSA), qui reviennent en gros à faire passer les salariés à bas salaire pour des assistés, alors qu'en vérité ils acquitteront toujours des prélèvements nettement supérieurs à tous les transferts reçus - y compris après plusieurs doublements de la PPE. Au lieu de se laisser aller dans des débats surréalistes sur la nécessité impérieuse de ne pas avoir de leader, les socialistes seraient bien inspirés de se réapproprier et de développer les bons outils qu'ils ont eux-mêmes créés. Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris. http://www.liberation.fr/rebonds/303578.FR.php © Libération
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