Libération, n° 6811
EVENEMENT, lundi 7 septembre 2004, p. 2
Fiscalité. Thomas Piketty, économiste, spécialiste du patrimoine, est
sceptique sur la mesure : |
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homas Piketty,
économiste, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences
sociales, chroniqueur à Libération, a longuement travaillé sur les
revenus et les patrimoines (1). Quels sont les effets d'une baisse des droits de succession ? En
général, on baisse la fiscalité sur les patrimoines lorsqu'on sort d'une
période où l'épargne et le patrimoine ont été éprouvés. C'était le cas après
la guerre, puis dans les années 50 ou 60. Mais nous ne sommes pas du tout
dans ce cas de figure. Au contraire, aujourd'hui, la France regorge
d'épargne. Les actifs se portent bien, et sur les vingt dernières années leur
valeur a augmenté bien plus vite que le PIB par habitant. Le problème est
plutôt du côté du travail qui est surtaxé. On parle constamment de baisser
les prélèvements obligatoires, or non seulement ils ne baissent pas, mais on
procède au transfert de la charge du capital vers le travail. On a
successivement augmenté les cotisations de retraite complémentaire, créé une
cotisation sur le jour férié et augmenté la CSG pour l'assurance maladie. En
face, on a baissé l'impôt sur le revenu, baissé l'impôt sur les sociétés,
etc. Dès qu'on a un peu d'argent, on détaxe soit les revenus élevés, soit les
patrimoines. C'est un non-sens. Le gouvernement parle de «solidarité entre les générations»... Nicolas
Sarkozy parle d'abaisser l'impôt sur le patrimoine moyen. Ce terme est une
entourloupe, qui a déjà fonctionné pour l'impôt sur le revenu avec les fameuses
«classes moyennes». Seuls 50 à 60 % des décès donnent lieu à imposition. Si
l'on rajoute un abattement de 100 000 euros à ceux déjà existants, seuls 20 à
30 % des successions seront imposées. On est loin de la moyenne. Mais Sarkozy n'est pas le seul à se lancer dans ce type de réforme ? Il
marche dans les pas de George W. Bush et de Silvio Berlusconi. Le mouvement a
été lancé par le président américain, qui s'est saisi du 11 septembre pour
appliquer son programme réactionnaire et antiméritocratique
: la suppression d'ici à 2012 de ce qu'il nomme la «death
tax», qui était de 60 % pour les patrimoines
les plus élevés dans son pays (40 % en France). Cela serait un retour au XIXe siècle du point de vue fiscal. Seul Berlusconi avait
jusqu'à présent emprunté ce chemin, en 2003. Idéologiquement, Sarkozy fait
donc un choix assez clair. A moins qu'il n'en profite pour mettre en branle
une réforme plus ambitieuse. En France, l'impôt est très familial : modéré
pour les enfants, très lourd pour les héritiers indirects. Si l'abattement
devenait indépendant de la qualité de l'héritier, on irait vers la liberté de
testament anglo-saxonne. Cela pourrait aller très loin dans la remise en
cause du code civil napoléonien. Un vrai sujet de débat. Recueilli
par HERVE NATHAN (1) Les
Hauts Revenus en France au XXe siècle inégalités
et redistribution, 1901-1998, éditions Grasset, 2001. |
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