Libération
Lundi 2 octobre 2000, page 7
«Economiques»
Des contrats sans loi?
PIKETTY Thomas
L'objectif proclamé du projet de «refondation sociale» défendu par le Medef est de substituer autant que possible le contrat à la loi. Autrement dit, au lieu de dicter ses lois à l'économie et au monde du travail, l'Etat devrait se contenter de veiller à ce que les contrats librement négociés par les partenaires sociaux soient régulièrement appliqués. La nouvelle convention Unedic, signée par le Medef et par trois syndicats de salariés sur cinq, est un cas d'école: le patronat entend montrer qu'il est possible de mettre en place une vaste réforme de l'assurance chômage sans intervention de l'Etat, et il a déjà annoncé qu'il refusait «la dictée du gouvernement».
Cette vision contractuelle de l'économie et du monde du travail semble pourtant oublier un point essentiel: qui sont les «partenaires sociaux» habilités à signer des contrats au nom de l'ensemble des entreprises et des salariés? En quoi sont-ils légitimes? Aurait-on déjà oublié que les syndicats patronaux et ouvriers qui négocient et signent les contrats et conventions qui s'appliqueront au XXIe siècle sont ceux dont l'Etat a décidé en 1945 qu'ils étaient «représentatifs»? En vérité, seuls le gouvernement et le Parlement disposent de la légitimité démocratique nécessaire pour définir les règles du jeu contractuel.
On pourrait certes adopter une vision plus pragmatique du projet de refondation sociale. Après tout, au-delà des envolées quelque peu abstraites des dirigeants patronaux sur le thème de la société contractuelle, la réforme de l'assurance chômage n'est-elle pas une bonne réforme, et le veto du gouvernement ne serait-il pas purement idéologique? De fait, de nombreux observateurs ont fait valoir que la nouvelle convention Unedic permettrait de redynamiser notre système d'assurance chômage, en en faisant un véritable outil de lutte contre le chômage, centré sur le processus de recherche d'emploi, et non plus un simple système d'indemnisation. Si la nouvelle convention était validée par le gouvernement, les allocations seraient désormais versées en fonction des plans de retour à l'emploi signés par les chômeurs, qui en contrepartie bénéficieraient de nouvelles mesures d'accompagnement et de formation, ainsi que d'allocations moins fortement dégressives. On peut également remarquer que le gouvernement a lui-même souvent vanté les mérites des mesures destinées à éviter les «pièges à pauvreté» et à activer les dépenses passives. Par exemple, le RMI peut être perçu (à taux réduit et à titre temporaire) par des personnes ayant retrouvé un emploi, de façon à encourager la recherche d'emploi et la sortie du RMI. Citons également les dégrèvements de CSG récemment accordés aux bas salaires, dont l'objectif affiché est de contribuer à rendre financièrement plus attractifs les emplois rémunérés à proximité du Smic. Mentionnons enfin les projets d'impôt négatif que l'on prête au gouvernement: il s'agirait là encore de s'assurer que les personnes retrouvant du travail ne sont pas pénalisées du fait de la perte de leurs transferts sociaux antérieurs.
Outre que les deux approches ne sont pas exactement les mêmes (le patronat privilégie le bâton, le gouvernement préfère la carotte), il faut toutefois noter la très grande complexité et le manque de lisibilité qui découlerait de cette accumulation de mesures. La superposition de dispositifs décidés par les partenaires sociaux (concernant les allocations chômage) et des dispositifs décidés par le gouvernement (concernant le RMI, la CSG et l'impôt sur le revenu) ne garantit en rien la cohérence du système global. Il serait sans doute possible de parvenir à des dispositifs mieux coordonnés et à un système plus simple et plus efficace si l'assurance chômage relevait également du domaine de la loi.
Thomas Piketty est chargé de recherche en économie au CNRS.