Le Monde
19 juin
2002, page 7
LE MONDE
EMPLOI
L'hôtellerie-restauration
parie sur la baisse de la TVA
Thomas
Piketty, directeur d'études à l'EHESS - " A terme, on peut envisager la
création de 100 000 emplois "
GALLOIS
DOMINIQUE
Que
pensez-vous de la baisse de la TVA dans la restauration proposée par le
gouvernement ?
C'est une
bonne mesure. Quand vous achetez de la nourriture à emporter, vous payez une
TVA de 5,5 %. Elle est de 19,6 % si vous la consommez sur place. Autrement dit,
vous êtes plus taxés quand vous utilisez de la main-d'oeuvre. Tout cela dans
une période de chômage de masse ! C'est une distorsion injustifiée et
contre-productive, et le gouvernement a raison de vouloir y mettre fin. C'est
une des rares mesures fiscales intéressantes défendues par la droite, et c'est
dommage que la gauche ait choisi de s'y opposer de façon un peu politicienne
pendant la campagne électorale. L'hôtellerie- restauration est un secteur
intensif en main-d'oeuvre, dans lequel les baisses de prélèvement peuvent avoir
un effet très fort sur les embauches. Près de 100 000 emplois ont été créés par
les entreprises de ce secteur depuis 1996, grâce à la croissance et aux
allégements de charges sur les bas salaires. Une baisse de la TVA amplifiera ce
mouvement.
Dans une
étude publiée en 1997, vous estimiez que l'on a sous-évalué le gisement
d'emplois dans ce secteur. En est-il de même aujourd'hui ?
Si
l'hôtellerie-restauration comptait le même nombre d'emplois par habitant en
France qu'aux Etats-Unis - pays le plus avancé en la matière -, nous aurions 1
million d'emplois supplémentaires (1,8 million au lieu de 800 000 aujourd'hui).
C'est de loin le secteur d'activité où le déficit français est le plus massif.
Bien sûr, on ne va pas combler un tel écart en quelques années. Mais en
allégeant les prélèvements, on peut espérer parcourir une partie du chemin.
Quel serait
l'impact d'une baisse de 14 points de la TVA ?
Tout dépend
de l'élasticité de la demande face au prix. Quand les tarifs baissent dans la
restauration, il est peu probable que la part du budget d'un ménage consacrée à
ce poste se réduise dans les mêmes proportions. Si les consommateurs y
consacrent la même somme ou ne la réduisent que de moitié, cela contribuera
forcément à augmenter la demande et donc à augmenter les embauches. Si les prix
baissent de 15 % et que les budgets restauration ne diminuent pas (hypothèse
optimiste mais pas irréaliste au vu des expériences passées), on peut envisager
à terme une augmentation de l'ordre de 100 000 emplois.
Ne court-on
pas le risque de créer des "petits boulots" ?
C'est un
problème à prendre au sérieux. Trop d'emplois dans ce secteur sont précaires, à
cause notamment d'un très fort développement du temps partiel subi. Ce
phénomène est la conséquence du fait que l'on a sur-subventionné les emplois à
temps partiel depuis dix ans.
Les
allégements de charges sociales sont une bonne chose, mais à condition qu'ils
concernent les emplois à plein temps, et ne se limitent pas aux très bas
salaires. Faute de quoi on crée des effets de seuil et on bloque les
progressions de salaires. Si ces précautions sont prises, alors les emplois que
l'on peut espérer créer dans la restauration sont parfaitement dignes et
légitimes. Aujourd'hui, la plupart des jeunes préféreraient travailler dans un
bar ou un restaurant plutôt que de faire les trois-huit dans une usine.
La
diminution de la TVA sera aussi un manque à gagner pour l'Etat, comment y pallier
?
C'est exact,
les maigres marges de manoeuvre apportées par la croissance ne permettent pas
de tout financer. On ne peut pas tout faire. En matière de baisse de
prélèvements, il faut éviter le saupoudrage. Il faut se concentrer sur quelques
priorités. La baisse de la TVA et la remise à plat des allégements de charges
sont des mesures nettement plus justifiées que la baisse de l'impôt sur le
revenu. Elles sont beaucoup plus efficaces en termes de créations d'emplois.
Les
autorités européennes seront-elles favorables à cette baisse fiscale annoncée ?
Je ne
comprends pas très bien pourquoi Bruxelles devrait donner son accord à cette
réduction de TVA à 5,5 %. C'est une question domestique, puisque cela concerne
des denrées consommables sur place et non des biens exportables. La seule
distorsion de concurrence pourrait intervenir aux frontières du pays. Elle est
marginale.
PROPOS
RECUEILLIS PAR DOMINIQUE GALLOIS