Le Monde

17 septembre 1999, page 7

 

LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000 TROIS QUESTIONS À...

THOMAS PIKETTY

 

MALINGRE VIRGINIE

 

1 Vous qui avez écrit un rapport, sous l'égide du ministère des finances, à propos de l'impôt sur le revenu, que pensez-vous du projet du gouvernement de réformer ce prélèvement pour 2001 ?

 

Il y a actuellement une véritable obsession autour de l'idée que l'impôt sur le revenu serait trop élevé. On exagère beaucoup. Les contribuables qui sont dans la tranche supérieure de cet impôt sont, pour l'essentiel, des cadres supérieurs, qui ne vont pas partir avec armes et bagages demain ! Une baisse du taux marginal coûterait plus qu'elle ne rapporterait. Retenir les rares contribuables mobiles en France ne compenserait sûrement pas la perte de recettes que cela engendrerait. Et quand bien même tous nos cadres supérieurs s'expatrieraient, la solution ne serait pas à chercher du côté de l'impôt sur le revenu, mais de l'Europe. C'est aux Etats membres de l'Union européenne de se concerter et de se mettre d'accord pour éviter ce genre de phénomène. A quoi sert-il d'avoir une " vague rose " en Europe si ce n'est même pas pour s'attaquer à ce genre de problèmes ?

 

2 Que faut-il faire ?

 

La priorité du gouvernement ne doit pas être l'impôt sur le revenu, mais l'emploi. J'ai l'impression de revenir dix ans en arrière quand, en 1989-1990, on disait que l'emploi allait très bien et que les socialistes décidaient... de baisser l'impôt sur les sociétés. J'ai peur qu'on ne refasse la même erreur aujourd'hui. Le chômage n'est pas fini. Il faut diminuer les cotisations sociales sur les bas salaires, de manière franche, massive et définitive.

 

3 Et pour les impôts sur les ménages, que préconisez-vous ?

 

Une ristourne de la CSG sur les 2 000 ou 3 000 premiers francs de revenus permettrait d'introduire de la progressivité dans cet impôt. Cela dégagerait du pouvoir d'achat pour les petits salaires. Une telle mesure incarne l'idée de fiscalité moderne : tout le monde paie pour augmenter le pouvoir d'achat des smicards, pas seulement les patrons. En outre, cela inciterait à travailler, puisque l'écart entre le RMI et le SMIC s'en trouverait accru. C'était d'ailleurs, initialement, une proposition de Lionel Jospin.

 

PROPOS RECUEILLIS PAR VIRGINIE MALINGRE