Chaque mardi: Économiques (6 septembre 2011)
Pour que la primaire socialiste soit utile, encore faudrait-il que l'on sache ce que les candidats proposent et ce qui les distingue. Pour l'instant on est encore loin du compte, même si certains clivages commencent à apparaître entre les deux principaux candidats.
Par exemple, Martine Aubry insiste sur le fait qu'elle est la plus en pointe contre le cumul des mandats. Il s'agit d'une question clé pour le renouvellement de la démocratie française et de ses élus, et pour rétablir l'équilibre entre pouvoirs législatifs et exécutifs. Or pour que les parlementaires fassent enfin leur travail à plein temps et cessent de se comporter comme une chambre d'enregistrement, il est indispensable de leur imposer un mandat unique. En particulier, interdiction absolue de cumul avec un mandat de maire ou de président de conseil général ou régional. Contrairement à Martine Aubry, François Hollande ne semble toujours pas prêt à imposer une telle règle aux notables socialistes. Espérons qu'il s'y risque enfin.
Autre clivage: le fameux "contrat de génération" proposé par Hollande. Tout employeur maintenant un senior dans l'emploi et embauchant un jeune obtiendrait une exonération complète de cotisations sociales sur les deux emplois pendant trois ans. On est là encore assez tenté de donner raison à Aubry, qui a vertement critiqué le dispositif, qui s'apparente à une nouvelle niche fiscale, dans un système qui en compte déjà beaucoup trop. Des mesures d'exonérations sociales similaires liées à l'âge du salarié ont déjà été appliqués à de multiples reprises dans le passé, avec à chaque fois d'énormes effets d'aubaine et une très faible efficacité. Sans compter que le coût du dispositif est considérable: entre 8 et 11 milliards d'euros (les chiffres diffusés par l'équipe Hollande varient, sans doute la proposition peut-elle encore évoluer). Pour mémoire, la catastrophique exonération sur les heures supplémentaires mise en place par Sarkozy en 2007, que tout le monde à gauche s'engage à supprimer, coûte "seulement" 4,5 milliards d'euros. Dans le contexte budgétaire actuel, remplacer les niches de droite par des niches de gauche encore plus coûteuses ne semble pas une bonne idée.
Cela dit, Martine Aubry insiste beaucoup sur une autre mesure elle aussi très coûteuse... et guère plus efficace: réduire jusqu'à 20% le taux de l'impôt sur les bénéfices que les sociétés re-investissent (actuellement 33%). C'est la fausse bonne idée par excellence. D'abord parce qu'il est quasiment impossible en pratique de distinguer investissements productifs et financiers (qui servent bien souvent à alimenter les ménages en plus-values, moins taxées que les dividendes). De telles mesures ont été expérimentées dans le passé, y compris en France, sans jamais donner de résultats convaincants. Ensuite, parce que la priorité absolue aujourd'hui est de rétablir à un niveau correct les recettes de l'impôt sur les sociétés (qui pendant la crise se sont littéralement effondrées, passant de 50 à 20 milliards d'euros), et certainement pas de miter de nouveau cet impôt. Enfin, parce que le grand chantier des années à venir est la mise en place d'un véritable impôt européen sur les sociétés, avec une assiette unifiée et des règles d'imposition communes pour toutes les sociétés implantées dans l'Union européenne. Dans un tel contexte, il serait pour le moins étrange que la France décide unilatéralement un taux hyper réduit sur les bénéfices re-investis. Pas facile ensuite de critiquer le dumping fiscal irlandais!
C'est d'autant plus regrettable que Martine Aubry semble vouloir repousser après 2012 la grande réforme fiscale sur laquelle les socialistes sont supposés être tous d'accord ("fusion CSG-IR pour mettre en place un grand impôt progressif sur le revenu"), mais qui en vérité reste très floue à ce stade. François Hollande évoque d'avantage le sujet, mais n'a pas encore dit comment il comptait s'y prendre pour réaliser cette réforme. Les deux candidats avaient promis de donner des précisions pour la rentrée. Le premier tour de la primaire socialiste aura lieu le 9 octobre. Peut-être le moment est-il venu de se jeter à l'eau?
Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.