Jeudi 28 janvier 2010
Thomas Piketty, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) plaide pour une "remise à plat massive" des niches fiscales, toujours dans les limbes faute "de courage politique".
Le gouvernement dit vouloir réduire les dépenses publiques. N'y a-t-il pas chantier plus urgent ?
Sans doute. On a atteint une telle accumulation de régimes fiscaux dérogatoires que, non seulement ça finit par coûter beaucoup d'argent à l'Etat, mais cela nuit à l'acceptation démocratique de l'impôt. En France, le principe originel "à revenu égal, impôt égal" est battu en brèche. Une remise à plat massive des niches s'impose.
Plutôt délicat...
Et alors ? Je suis frappé par le manque de courage politique du gouvernement. Depuis 2007, Nicolas Sarkozy, qui prétend réformer la France cinquante fois par jour, n'a esquissé aucune réforme de notre système fiscal. Fût-elle de droite ! Au contraire, le gouvernement Fillon a d'emblée rajouté plusieurs couches de complexité : le paquet fiscal, voté à l'été 2007, a créé autant de nouvelles niches qu'il contenait d'articles.
Quelles sont ces nouvelles niches ?
L'exonération des heures sup, par exemple : décréter qu'une partie des revenus du travail est exonérée d'impôt alors que le reste y est soumis, c'est dingue. Vous créez les conditions d'un énorme manque à gagner pour l'Etat et les régimes de retraites, les fiscalistes rivalisant d'imagination pour requalifier les primes en heures sup... Et que dire de la déduction des intérêts d'emprunt pour l'achat d'un logement ! Presque tous les pays de l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques, ndlr] qui ont eu recours à ce système l'ont supprimé. Et pour cause : le problème du logement ne se résorbe qu'avec la construction de logements. La niche ne fait que doper les prix de l'immobilier ou empêcher leur baisse, pourtant nécessaire. Cette accumulation relève d'une mauvaise utilisation de l'argent public.
Pourquoi donc avoir créé ces dispositifs ?
Au départ, il y a souvent une raison valable pour créer une niche. Dans les années 50, on a vu par exemple se multiplier les exemptions d'imposition sur les revenus du capital. Il s'agissait alors de donner de l'oxygène à l'épargne et aux patrimoines, laminés par la guerre, dans un contexte de reconstruction. Le problème réside dans l'inertie de ces dispositifs. Aujourd'hui, les revenus du patrimoine, mobilier et immobilier, se portent à merveille. Cela n'a donc aucun sens de les imposer plus faiblement que les revenus du travail !
Comment concilier efficacité et équité du système ?
Avant de parler réduction des dépenses ou hausse des impôts, il faudrait faire le ménage dans ce maquis de niches. Une première étape consisterait à fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG [Contribution sociale généralisée]. L'impôt final serait progressif et prélevé à la source (enfin !) ce qui, mécaniquement, obligerait à supprimer les niches. L'objectif premier ne doit pas être de renflouer les caisses mais de rendre le système de prélèvement plus équitable et plus lisible. C'est indispensable pour réconcilier les citoyens avec l'impôt.
Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.