Chaque mardi: Économiques (7 juillet 2009)
Vous avez compris quelque chose à la taxe carbone ? Bravo : vous êtes sans doute un militant écologique chevronné ! Car pour le commun des mortels, les projets actuellement évoqués sont entourés de nombreux mystères, que le débat public n'a pour l'instant pas permis d'éclairer.
Au niveau des principes, tout semble clair. Il s'agit de taxer toutes les consommations d'énergie, en fonction du volume des émissions de CO2 engendrées par chacune. Avec en prime un " double dividende " : en taxant davantage les énergies polluantes, on pourrait moins taxer le travail, et révolutionner ainsi notre système fiscal.
Les choses se compliquent lorsqu'on examine les projets concrets envisagés pour 2010, qui ressemblent à s'y méprendre à une vulgaire augmentation des taxes sur l'essence, comme il y en déjà eu beaucoup dans le passé. De fait, les recettes nouvelles évoquées pour la taxe carbone en 2010, soit environ 9 milliards d'euros, dont près de 5 milliards provenant d'une taxation accrue des carburants automobiles, permettront tout juste de compenser les pertes de recettes constatés ces dernières années sur la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), qui sont passées de 25 milliards en 2002-2003 à moins de 20 milliards aujourd'hui, suite à la hausse des prix du pétrole et à la baisse de la consommation. Récupérer ces recettes perdues est sans doute une bonne idée, mais est-ce vraiment révolutionnaire ? En vérité, la fiscalité verte existe depuis longtemps en France : d'après Eurostat les écotaxes y rapportent au total environ 2,5 points de PIB (dont la moitié au titre de la TIPP), contre environ 3 points en Suède et en moyenne en Europe.
Alors, qu'y a-t-il de véritablement nouveau dans les projets actuels ? En principe, une " taxe carbone " réussie se distingue de la fiscalité verte à l'ancienne par le fait qu'elle est entièrement guidée par des objectifs écologiques cohérents, et non par des considérations budgétaires ou politiques. Cela a deux conséquences essentielles. Tout d'abord, il est crucial de taxer toutes les énergies à des taux cohérents avec les pollutions engendrées. Jusqu'ici, la France avait taxé l'essence relativement fortement, mais avait notoirement sous-taxé le gaz, le fioul domestique et le charbon.
Ensuite et surtout, une fois ce cadre général fixé et accepté par tous, la particularité de la taxe carbone est que son montant progresse régulièrement au cours des décennies à venir, en fonction d'une évaluation objective du coût de la pollution pour la société, coût mesuré par le désormais fameux " prix de la tonne de CO2 ". Ce prix fictif est estimé en prenant en compte à la fois les couts liées à la réduction des émissions (par exemple, si cela coûte 100 euros de planter les arbres nécessaires pour absorber une tonne de CO2, ou pour développer une technologie propre, alors le prix de la tonne est fixé à 100 euros), et les couts liés aux émissions (estimés en fonction des prévisions climatiques à long terme et des conséquences pour la vie humaine). En France, le rapport Quinet sur " La valeur tutélaire du carbone " propose de faire progressivement passer le prix de la tonne de CO2 de 32 euros en 2010 à 100 euros en 2030 puis 200 euros en 2050. Concrètement, cela veut dire que le montant de la taxe carbone augmentera à due concurrence. Ces chiffres, extrêmement incertains, seront évidemment revus et corrigés. Mais le point essentiel est que la société et les gouvernements futurs s'engagent à les faire croitre régulièrement, indépendamment des aléas politiques et budgétaires de cout terme.
De nombreux experts font également valoir que cette taxe carbone vertueuse doit s'ajouter et non se substituer aux taxes vertes existantes. En particulier, le niveau actuel de la TIPP serait tout juste suffisant pour compenser les autres pollutions liées à l'automobile (qualité de l'air, congestion, pollution sonore), et non les émissions de gaz à effet de serre. L'argument technique se défend, mais il demande à être expliqué, faute de quoi les contribuables risquent de trouver que tout cela ressemble davantage à une double peine qu'à un double dividende.
D'autant plus que le débat sur l'utilisation des recettes de la taxe carbone est extrêmement mal parti. D'emblée les entreprises industrielles ont été exonérées de la nouvelle taxe, au motif qu'elles relèvent du système européen de quotas d'émission. Il existe là encore de bons arguments techniques en faveur de ce système dual de taxes et de quotas. Mais cela mine potentiellement l'acceptation sociale de l'ensemble du dispositif, dans la mesure où ces quotas ont pour l'instant été obtenus quasi-gratuitement, et ne sont censés devenir payants et être mis aux enchères qu'à partir de 2013. Dans ces conditions, proposer d'utiliser dès 2010 les recettes de la taxe carbone pour supprimer la taxe professionnelle payée par ces mêmes entreprises apparaît comme une provocation idéologique particulièrement malvenue.
Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.