Lundi 19 novembre 2007
Formons un voeu : que le débat national sur les retraites de 2008 prenne de la hauteur et aille au-delà de la stigmatisation de quelques catégories particulières. D'abord parce que la nécessaire normalisation des régimes spéciaux ne couvrira qu'une part infime des problèmes de financement. Surtout parce que l'on ne garantira pas l'avenir des retraites sans remise à plat générale d'un système devenu illisible. Quelles sont les justifications profondes de la retraite par répartition ? D'une part, les marchés financiers et immobiliers sont incapables de transférer une épargne garantie sur plusieurs dizaines d'années. D'autre part, certains actifs risqueraient de ne pas épargner suffisamment pour leurs vieux jours.
Autrement dit, la retraite par répartition est un système d'épargne forcée garantie par l'Etat, et ne doit pas chercher à faire autre chose. Son objectif n'est pas de redistribuer des riches vers les pauvres ou de compenser la faiblesse des salaires de certains salariés ou la dureté de leurs conditions de travail. Pour cela, d'autres outils sont plus adaptés (impôt sur le revenu, RMI, minimum vieillesse, politiques salariales et de prévention des risques professionnels, etc.). C'est justement parce que l'on a demandé à notre système de retraites de faire trop de choses à la fois que l'on a accumulé un nombre invraisemblable de règles complexes et de redistributions opaques et incompréhensibles pour le citoyen. De ce principe général découlent les lignes directrices de toute réforme ambitieuse. Toutes les années de cotisations doivent compter pour le calcul de la retraite. Chacun doit pouvoir partir à la retraite quand il le souhaite, avec une pension proportionnelle aux cotisations versées pendant l'ensemble de la vie active, le coefficient de conversion dépendant des évolutions démographiques (espérance de vie, ratio actifs/retraités), à l'image du remarquable système par points appliqué en Suède. Le passage à un tel système demandera certes plusieurs étapes, mais n'est pas hors de portée.
Dans le public, chaque année d'activité donne droit à un taux de remplacement de 1,875 %, soit un taux de remplacement de 75 % pour quarante années de cotisations, 37,5 % pour vingt années de cotisations, etc. Ce principe simple de proportionnalité aux années cotisées est peu ou prou le même dans le privé, sauf que la retraite à plein taux à 75 % du salaire pour quarante annuités n'est atteinte qu'en cumulant la retraite du régime de base (50 %) avec la pension complémentaire apportée par l'Arrco (non-cadres) et l'Agirc (cadres). C'est la première source d'opacité à supprimer : personne ne comprend rien aux formules compliquées résultant de l'empilement des régimes, sans parler des salariés qui ont le mauvais goût d'être à la fois cadres et non-cadres dans une même vie ! L'Etat doit prendre ses responsabilités et fusionner les régimes Arrco et Agirc avec le régime général, de façon à aboutir pour le privé à une règle unique simple, du type de celle du public. Avec au passage un abaissement massif du plafond (la retraite par répartition n'est pas là pour gérer l'épargne des super-cadres, dont l'espérance de vie élevée coûte en outre fort cher). Pour que chaque année de cotisation compte, il faut supprimer la durée minimale de cotisations de quinze ans en vigueur dans le public (quitter le fonctionnariat n'est pas une tare), et appliquer le taux de remplacement à l'ensemble des salaires de la vie active, et non pas aux salaires des six derniers mois (public) ou des vingt meilleures années (privé). Dans le même esprit de transparence, les cotisations patronales acquittées par l'Etat pour financer les retraites publiques (60 % des salaires bruts) doivent figurer sur les bulletins de salaire, comme dans le privé.
Enfin, les annuités au-delà des quarante années doivent compter dans le calcul du taux de remplacement pour permettre aux salariés ayant commencé à travailler très tôt de toucher enfin leurs cotisations. Quand au système de décote-surcote, il est là pour remplir une tout autre fonction : prendre en compte le fait que partir à la retraite un an plus tard conduit non seulement à verser une année supplémentaire de cotisations, mais surtout à toucher sa pension une année de moins (par exemple dix-neuf ans au lieu de vingt ans, soit 5 % de pension totale en moins). La décote-surcote doit donc dépendre de l'âge de départ à la retraite et de l'espérance de vie prévisible, et non plus de la durée de cotisations. Le système par points permettra aux travailleurs d'intégrer le fait que leurs cotisations retraite constituent un revenu différé, pas un impôt.
Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.