Jeudi 13 septembre 2007
Prendre des références étrangères pour modèles est toujours périlleux. Mais quitte à se livrer à cet exercice, le clintonisme fournit probablement une base plus adaptée et plus ambitieuse que le blairisme pour la refondation de la gauche française. Toutes les tentatives de mises à jour du logiciel progressiste aux réalités du XXIe siècle partagent les mêmes prémisses. Blair comme Clinton ont gagné en faisant partager aux électeurs leur enthousiasme pour la mondialisation : loin de tout repli frileux, ils leur ont promis les qualifications et le capital humain nécessaires pour occuper les emplois les plus dynamiques du monde. La différence est que, malgré des efforts récents, le Royaume-Uni demeure un pays fortement stratifié et sous-formé, qui compense la médiocre productivité de sa main-d'oeuvre par de très longues heures de travail. La France, qui partage avec les Etats-Unis le même projet universaliste, demeure, par sa productivité, proche de la frontière américaine. En investissant massivement dans la formation et l'innovation, elle peut retrouver la première place mondiale. La gauche française peut incarner ce projet, surtout si elle oublie les peurs du marché et de la concurrence qu'elle a toujours su dépasser. D'autant plus que le sarkozisme confirme chaque jour qu'il choisit la voie inverse. En leur promettant la rédemption par les heures supplémentaires, il prend les Français pour des Britanniques. En creusant la dette sans investir dans l'avenir, il ne prépare pas le pays au défi de la mondialisation.
Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.