Lundi 27 août 2007
Après des mois de tergiversations, le gouvernement Sarkozy-Fillon semble décidé à remettre sur la table le dossier de la TVA sociale. Au printemps, le sujet avait été introduit de la pire des façons, juste après avoir dépensé 15 milliards d'euros de cadeaux fiscaux clientélistes et inefficaces (intérêts d'emprunts, bouclier fiscal, heures supplémentaires), soit l'équivalent de deux points de TVA. Difficile, dans ces conditions, pour les électeurs des législatives, de ne pas suspecter la droite de vouloir financer ses promesses électorales par une hausse pure et simple de TVA. D'autant plus que c'est ce qu'avait fait le gouvernement Chirac-Juppé en 1995, avec pour résultat la démolition de la croissance en quelques mois !
Essayons néanmoins d'oublier un instant ce gâchis de 15 milliards, et de considérer le débat sur la TVA sociale pour ce qu'il devrait être : non pas une façon détournée d'augmenter les recettes de l'Etat, mais une réforme complexe de la structure de financement de la protection sociale, à recettes constantes.
De quoi s'agit-il ? Actuellement, la protection sociale repose presque exclusivement sur des cotisations assises sur les seuls salaires. Pour un salaire brut de 100 euros, le salarié touche un salaire net de 80 euros (20 % de cotisations salariales), et l'employeur paie 145 euros (45 % de cotisations patronales). A long terme (" quand nous serons tous morts ", disait Keynes), toutes ces cotisations sont in fine payées par les salariés, comme l'atteste le fait que la part des salaires (cotisations patronales incluses) dans la valeur ajoutée des entreprises (environ 70 %) est sensiblement la même dans tous les pays et à toutes les époques.
Sur cette masse énorme de cotisations, une grosse moitié correspond à des prestations dites contributives (retraite, chômage), dont personne ne remet en cause qu'elles reposent sur les salaires : on cotise proportionnellement à son salaire, et, à la sortie, les droits sont proportionnels aux contributions. Le problème se pose pour la seconde moitié, qui finance les prestations d'assurance-maladie (dotations aux hôpitaux, remboursements de consultations et de médicaments) et les prestations familiales (allocations familiales, allocations parent isolé). Ces prestations relèvent d'une logique d'universalité et de solidarité nationale. Cela n'a aucun sens de faire reposer leur financement sur les seuls salaires et d'accentuer ainsi la pression fiscale sur le travail. Surtout dans un contexte de sous-emploi.
D'où le débat sur l'élargissement de l'assiette des cotisations maladie/famille. Débat qui a déjà été tranché au niveau des cotisations salariales avec la création, par Michel Rocard en 1991, de la CSG. Mais le débat n'a pas abouti pour la part patronale, et le financement des branches maladie/famille repose toujours sur des cotisations patronales de plus de 18 points assises sur les seuls salaires. D'où la proposition récurrente d'abaisser progressivement ces cotisations et de les remplacer par une taxe dotée d'une assiette plus large, par exemple la TVA.
Ainsi envisagée, la TVA sociale apparaît comme une réponse possible à une vraie question. Mais sans doute pas comme la meilleure réponse. Une solution supérieure, soutenue notamment par la CFDT, consisterait à créer une contribution patronale généralisée (CPG) qui reposerait sur l'ensemble de la valeur ajoutée des entreprises, c'est-à-dire sur la somme des salaires et des bénéfices. Le plus simple serait de reprendre les bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés, ce qui aboutirait à une assiette d'environ 7 milliards d'euros par point de CPG, autant qu'un point de TVA.
De fait, les deux solutions devraient être équivalentes : la TVA taxe la valeur ajoutée en la définissant comme la différence entre les produits vendus par l'entreprise et ceux achetés aux autres entreprises, la CPG taxe la valeur ajoutée en la définissant comme la somme des revenus distribués par l'entreprise au travail et au capital. Chassons d'emblée l'idée selon laquelle la TVA échouerait à 100 % sur les prix payés par les consommateurs, alors que la CPG grèverait à 100 % lesdits revenus : en vérité, toutes les taxes pèsent en partie sur les prix et sur les revenus, en fonction de la réalité économique de l'assiette et du degré de concurrence sur les marchés des biens, du travail et du capital dans le secteur concerné. Si TVA sociale et CPG diffèrent dans leurs effets économiques, c'est donc pour des raisons plus subtiles. Le mode de prélèvement de la TVA française autorise la déduction intégrale des dépenses d'investissement, ce qui de facto revient à exonérer une bonne part des revenus du capital. Inversement, la TVA pèse lourdement sur les retraités, contrairement à la CPG. Enfin, les bas salaires sont exonérés de cotisations patronales maladie/famille, et subiront de plein fouet la hausse de TVA, alors que la CPG permet de maintenir cette exonération, mise en place depuis quinze ans pour alléger la pression fiscale sur le travail peu qualifié.
Pour résumer : la CPG permet un véritable rééquilibrage fiscal entre travail et capital ; alors que la TVA sociale revient à faire payer la note par les retraités et les smicards, ce qui est socialement et économiquement injustifié et ressemble fort à une politique de gribouille : les retraites étant indexées sur les prix, les caisses publiques finiront par repayer d'une main ce qu'elles ont pris aux retraités de l'autre ! Le seul avantage de la TVA sociale, abondamment vanté par le gouvernement, est la taxation des importations et l'exonération des exportations, alors que la CPG repose sur les seuls biens produits en France, quelle que soit leur destination. Mais subordonner une réforme fiscale d'une telle ampleur à ce maigre différentiel n'est pas sérieux : s'imagine-t-on vraiment que nous allons concurrencer les textiles chinois ou indiens en grevant leur prix de 2 points supplémentaires de TVA ? Cette piteuse posture protectionniste montre que sur ce sujet comme sur le paquet fiscal, les réponses apportées par Sarkozy-Fillon ne sont tout simplement pas à la hauteur des défis économiques posés à la France par la mondialisation.
Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS.