Lundi 15 janvier 2007
Le simple fait de proclamer l'existence d'un droit opposable au logement peut-il constituer un moyen efficace d'améliorer les conditions de logement des plus défavorisés ? De nombreux observateurs sont a priori des plus sceptiques. S'il suffisait de proclamer l'existence d'un droit pour qu'il se réalise, cela se saurait. Le droit à l'emploi, énoncé par la Constitution de 1946, n'a guère contribué à la baisse du chômage. Pour aider réellement les plus défavorisés, on ne peut se contenter d'affirmer des principes : il faut mobiliser des moyens permettant de financer des politiques adaptées, comme par exemple des constructions publiques ou des allocations logement. En proclamant à peu de frais l'existence abstraite de droits égaux pour tous, on se dispense parfois de payer les taxes et transferts fiscaux qui permettent, au moins, d'atténuer l'inégalité bien réelle des conditions de vie.
Dans le cas de l'accès au logement, le problème est pourtant plus compliqué qu'il n'y paraît, tant les politiques économiques classiques ont montré leurs limites. Jusque dans les années 70, la puissance publique prenait directement en charge de grands programmes de construction de logements sociaux, avec certains succès mais également avec des échecs cuisants, comme en témoignent les grands ensembles et autres barres HLM aujourd'hui détruits. Depuis les années 70-80, la priorité est passée des aides à la pierre aux aides à la personne, sous la forme d'allocations logement progressivement augmentées, étendues à l'ensemble des ménages modestes et visant à solvabiliser leur demande sur le marché privé comme dans le logement social. Les allocations logement sont ainsi devenues le plus important transfert social du système français : elles totalisent en 2006 près de 15 milliards d'euros, soit près de deux fois plus que le RMI et la prime pour l'emploi réunis. Leur bilan est malheureusement mitigé. Comme l'ont montré les travaux de Gabrielle Fack, les différentes réformes du système permettent d'estimer qu'environ 80 % des allocations logement se sont répercutées en hausse des loyers perçus par les propriétaires, sans amélioration sensible de la qualité. Ce résultat décevant semble s'expliquer par la très faible élasticité de l'offre de logement : la construction privée n'a que très peu réagi aux nouvelles incitations.
Face à ces échecs, de nouvelles voies sont explorées. Que peut apporter le droit opposable au logement ? Dans l'esprit des associations et commissions qui ont planché sur cette question, l'idée est de donner la possibilité aux mal-logés de porter plainte auprès de l'échelon administratif le plus pertinent, en l'occurrence les communautés d'agglomérations, qui en échange se verraient confier des pouvoirs plus importants en matière de politiques de logement, notamment pour ce qui concerne les aides à la construction (aides à la pierre pour le logement social et l'amélioration de l'habitat privé), ainsi que les attributions de logement, les réquisitions.
Dans cette perspective, la mise en place du droit opposable au logement pourrait permettre de clarifier les responsabilités des différents acteurs publics et de concentrer les moyens au bon niveau. Cela pourrait permettre de relancer l'effort de construction (la clé de tout, comme le montre l'expérience des allocations logement). Car si l'intervention publique est parfaitement légitime pour la production d'un bien aussi particulier et complexe que le logement, ne serait-ce que pour des raisons urbanistiques, encore faut-il l'organiser efficacement. On peut par ailleurs espérer que la mise en place d'un droit opposable au logement puisse conduire à une forte mobilisation locale autour des procédures de recours. L'idée qu'une telle judiciarisation des politiques économiques et sociales puisse porter ses fruits est relativement étrangère à la tradition française, mais elle a déjà fait ses preuves dans des exemples étrangers.
C'est suite à un arrêt de la Cour suprême indienne de 2001 relatif au droit à un repas nutritivement équilibré dans les écoles, et après de multiples procédures de recours menées par des associations auprès des Etats et collectivités de l'Inde, que ce droit est aujourd'hui devenu une réalité. Cet exemple rappelle toutefois qu'une telle mobilisation ne peut porter ses fruits que si la nature du droit opposable est très simplement définie. Dans le cas du droit opposable au logement, il faudra définir les conditions de surfaces, de loyers, de localisation du logement proposé, qui permettront à un ménage de se dire mal logé. Impossible en particulier de ne prendre qu'un seul des critères, comme par exemple le loyer dans le cas du bouclier fiscal (" pas de loyer supérieur à 25 % du revenu ") proposé par le PS. Faire en sorte que les conditions d'application des recours soient clairement délimitées et comprises par tous sera le défi majeur à relever pour démontrer la viabilité du droit opposable au logement.
Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS.