Le Point

(Lundi 15 juin 2009)

Retraites: il faut un big-bang pour sauver le système

Par Thomas Piketty

Alors que le ministre du Travail Brice Hortefeux relance le débat sur l'âge légal de départ à la retraite , l'économiste Thomas Piketty livre au point.fr son diagnostic sur l'état du système français.

lepoint.fr : Notre système de retraite par répartition est-il encore viable ?

Thomas Piketty : En cette époque de crise financière où l'on voit à quel point les pays qui ont misé sur les fonds de pension se retrouvent dans une situation très inquiétante, notre retraite par répartition devrait être une source de confiance en l'avenir. Elle est la seule à donner des garanties aux retraités sur leur pouvoir d'achat futur. Le paradoxe incroyable, c'est que, dans le même temps, les Français n'ont jamais été aussi angoissés par la question de leur retraite future. Ceci est lié au refus des gouvernements de droite, comme de gauche, de prendre vraiment à bras-le-corps la question. Il ne suffit pas d'abroger les lois Fillon. Il faut avoir de l'imagination et proposer une réforme précise. Jusqu'ici, on a perdu beaucoup de temps. Un véritable big-bang est nécessaire et non des réformettes.

lepoint.fr : Le ministre du Travail, Brice Hortefeux, a évoqué dimanche trois pistes possibles : diminuer les pensions, augmenter la durée de cotisation ou reporter l'âge de la retraite à 67 ans. Vous paraissent-elles valables ?

T. P. : Si on se place à un niveau strictement comptable, effectivement, il faut que, d'une façon ou d'une autre, les cotisations à long terme soient égales aux pensions versées. Le problème, pour l'instant, c'est qu'il y a beaucoup de paramètres qui entrent en jeu et déterminent le montant effectif des pensions. Le premier souci que l'on a, avant même le problème des déficits, c'est que les Français ne comprennent rien à ce système et sont incapables de prévoir à l'avance quels seront leurs droits. Ceci est dû au fait que l'on a une multiplicité de régimes, une accumulation de règles toutes plus compliquées les unes que les autres. Il faut avoir en tête un seul chiffre : il y a 13 millions de retraités en France, mais il y a 30 millions de retraites versées. Tout simplement parce que chaque personne touche en moyenne des retraites provenant de deux ou trois régimes en moyenne. Pour la jeune génération, entre 30 et 40 ans, c'est encore pire que ça, parce que leur trajectoire professionnelle est souvent plus compliquée.

lepoint.fr : Ne convient-il pas de se défaire des régimes spéciaux avant de relever l'âge légal de la retraite?

T. P. : Il faut sortir du rafistolage permanent sur le système des retraites. On a besoin vraiment d'une remise à plat générale pour redonner confiance aux Français. Il faut donc commencer par unifier l'ensemble des droits à la retraite de toutes les catégories de travailleurs, aller vers un système unique de droits à la retraite par répartition. Un système qui donne les mêmes droits et les mêmes devoirs, les mêmes taux de cotisations, les mêmes principes de calcul pour le secteur privé, les fonctionnaires, les non-salariés. Un système où les droits individuels à la retraite s'accumulent sur un compte virtuel géré par l'état et dans lequel quel que soit le statut professionnel, on conserve, de façon certaine, toutes les cotisations qui ont été versées comme des droits intouchables et inaliénables. Le principe est : à cotisations égales, retraite égale. Et, les Français pourront ainsi regarder en direct chaque année ce qu'ils ont acquis. Ils pourront aussi prévoir s'ils ont besoin d'une épargne complémentaire. Enfin, une fois que le système sera lisible, on pourra avoir un débat national et aborder la question d'une hausse des taux de cotisation ou d'un allongement de la durée du travail.

lepoint.fr : Travailler jusqu'à 67 ans vous paraît-il raisonnable ?

T. P. : ça dépend beaucoup des métiers. Dans certaines professions, comme par exemple chez les universitaires, les personnes veulent rester en activité très longtemps. Dans d'autres, travailler jusqu'à 67 ans n'a absolument pas de sens. Il faut donc conserver de la souplesse, de la flexibilité, en proposant également un dispositif simple de cessation progressive d'activité.

Thomas Piketty est, avec Antoine Bozio, coauteur d'un ouvrage intitulé Pour un nouveau système de retraite : des comptes individuels de cotisations financés par répartition (édition ENS rue d'Ulm, collection du CEPREMAP numéro 14, 2008). Pour en savoir plus, cliquez ici

http://piketty.pse.ens.fr/index.php

Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.