Vive le blairisme ?
Thomas Piketty et Jean-Marie Boeckel
QUOTIDIEN : jeudi 13 septembre 2007
Jean-Marie BOCKEL 
Secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophonie.
L'esprit blairiste persiste et signe. Il anime le New Labour, au pouvoir depuis plus de dix ans. Il nourrit l'action de nombreux gouvernements européens. Il constitue un ferment de rénovation pour une gauche française toujours à venir. Les travaillistes anglais ont osé dire ce qu'ils allaient faire et ils ont su procéder en amont du pouvoir à leur aggiornamento idéologique. Fidèles à leur ambition sociale, ils ont forgé de nouveaux outils d'action, accordés à un monde ouvert, fait d'échanges et d'individus. Les principes d'action sont connus : pragmatisme, accord des libertés et des solidarités, responsabilisation individuelle, recherche conjointe de l'efficacité économique et du progrès social, nécessité des règles et échange entre les droits et les devoirs. L'action doit être jugée sur les progrès réalisés et les réussites sont là : une croissance soutenue, une situation de plein-emploi, un investissement sans précédent dans les services publics, une meilleure redistribution sociale (salaire minimum et lutte contre la pauvreté). A nous d'inventer un social libéralisme à la française. Deux chantiers parmi d'autres : - La promotion d'une économie de marché solidaire, fondée sur une croissance durable et innovante, sur la vitalité d'entreprises responsabilisées, sur une politique de l'emploi conciliant fluidité et sécurité. - La réforme de l'Etat : mieux délimité et plus souple, responsabilisé et évalué, il garantira des services publics rénovés. Ce social libéralisme guide mon action. Il constitue la clé de la rénovation de notre pays.
Thomas Piketty 
Directeur d'études à l'EHESS.
Prendre des références étrangères pour modèles est toujours périlleux. Mais quitte à se livrer à cet exercice, le clintonisme fournit probablement une base plus adaptée et plus ambitieuse que le blairisme pour la refondation de la gauche française. Toutes les tentatives de mises à jour du logiciel progressiste aux réalités du XXIe siècle partagent les mêmes prémisses. Blair comme Clinton ont gagné en faisant partager aux électeurs leur enthousiasme pour la mondialisation : loin de tout repli frileux, ils leur ont promis les qualifications et le capital humain nécessaires pour occuper les emplois les plus dynamiques du monde. La différence est que, malgré des efforts récents, le Royaume-Uni demeure un pays fortement stratifié et sous-formé, qui compense la médiocre productivité de sa main-d'oeuvre par de très longues heures de travail. La France, qui partage avec les Etats-Unis le même projet universaliste, demeure, par sa productivité, proche de la frontière américaine. En investissant massivement dans la formation et l'innovation, elle peut retrouver la première place mondiale. La gauche française peut incarner ce projet, surtout si elle oublie les peurs du marché et de la concurrence qu'elle a toujours su dépasser. D'autant plus que le sarkozisme confirme chaque jour qu'il choisit la voie inverse. En leur promettant la rédemption par les heures supplémentaires, il prend les Français pour des Britanniques. En creusant la dette sans investir dans l'avenir, il ne prépare pas le pays au défi de la mondialisation.


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