Economiques
Opposable... mais efficace ?
Par Thomas PIKETTY
QUOTIDIEN : lundi 15 janvier 2007
Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS.
Le simple fait de proclamer l'existence d'un droit opposable au
logement peut-il constituer un moyen efficace d'améliorer les
conditions de logement des plus défavorisés ? De nombreux
observateurs sont a priori des plus sceptiques. S'il suffisait de
proclamer l'existence d'un droit pour qu'il se réalise, cela se
saurait. Le droit à l'emploi, énoncé par la Constitution de 1946,
n'a guère contribué à la baisse du chômage. Pour aider réellement
les plus défavorisés, on ne peut se contenter d'affirmer des
principes : il faut mobiliser des moyens permettant de financer des
politiques adaptées, comme par exemple des constructions publiques
ou des allocations logement. En proclamant à peu de frais
l'existence abstraite de droits égaux pour tous, on se dispense
parfois de payer les taxes et transferts fiscaux qui permettent, au
moins, d'atténuer l'inégalité bien réelle des conditions de
vie.
Dans le cas de l'accès au logement, le problème est pourtant
plus compliqué qu'il n'y paraît, tant les politiques économiques
classiques ont montré leurs limites. Jusque dans les années 70, la
puissance publique prenait directement en charge de grands
programmes de construction de logements sociaux, avec certains
succès mais également avec des échecs cuisants, comme en témoignent
les grands ensembles et autres barres HLM aujourd'hui détruits.
Depuis les années 70-80, la priorité est passée des aides à la
pierre aux aides à la personne, sous la forme d'allocations
logement progressivement augmentées, étendues à l'ensemble des
ménages modestes et visant à solvabiliser leur demande sur le
marché privé comme dans le logement social. Les allocations
logement sont ainsi devenues le plus important transfert social du
système français : elles totalisent en 2006 près de 15 milliards
d'euros, soit près de deux fois plus que le RMI et la prime pour
l'emploi réunis. Leur bilan est malheureusement mitigé. Comme l'ont
montré les travaux de Gabrielle Fack, les différentes réformes du
système permettent d'estimer qu'environ 80 % des allocations
logement se sont répercutées en hausse des loyers perçus par les
propriétaires, sans amélioration sensible de la qualité. Ce
résultat décevant semble s'expliquer par la très faible élasticité
de l'offre de logement : la construction privée n'a que très peu
réagi aux nouvelles incitations.
Face à ces échecs, de nouvelles voies sont explorées. Que peut
apporter le droit opposable au logement ? Dans l'esprit des
associations et commissions qui ont planché sur cette question,
l'idée est de donner la possibilité aux mal-logés de porter plainte
auprès de l'échelon administratif le plus pertinent, en
l'occurrence les communautés d'agglomérations, qui en échange se
verraient confier des pouvoirs plus importants en matière de
politiques de logement, notamment pour ce qui concerne les aides à
la construction (aides à la pierre pour le logement social et
l'amélioration de l'habitat privé), ainsi que les attributions de
logement, les réquisitions.
Dans cette perspective, la mise en place du droit opposable au
logement pourrait permettre de clarifier les responsabilités des
différents acteurs publics et de concentrer les moyens au bon
niveau. Cela pourrait permettre de relancer l'effort de
construction (la clé de tout, comme le montre l'expérience des
allocations logement). Car si l'intervention publique est
parfaitement légitime pour la production d'un bien aussi
particulier et complexe que le logement, ne serait-ce que pour des
raisons urbanistiques, encore faut-il l'organiser efficacement.
On peut par ailleurs espérer que la mise en place d'un droit
opposable au logement puisse conduire à une forte mobilisation
locale autour des procédures de recours. L'idée qu'une telle
judiciarisation des politiques économiques et sociales puisse
porter ses fruits est relativement étrangère à la tradition
française, mais elle a déjà fait ses preuves dans des exemples
étrangers.
C'est suite à un arrêt de la Cour suprême indienne de 2001
relatif au droit à un repas nutritivement équilibré dans les
écoles, et après de multiples procédures de recours menées par des
associations auprès des Etats et collectivités de l'Inde, que ce
droit est aujourd'hui devenu une réalité. Cet exemple rappelle
toutefois qu'une telle mobilisation ne peut porter ses fruits que
si la nature du droit opposable est très simplement définie. Dans
le cas du droit opposable au logement, il faudra définir les
conditions de surfaces, de loyers, de localisation du logement
proposé, qui permettront à un ménage de se dire mal logé.
Impossible en particulier de ne prendre qu'un seul des critères,
comme par exemple le loyer dans le cas du bouclier fiscal
(« pas de loyer supérieur à 25 % du revenu ») proposé par le
PS. Faire en sorte que les conditions d'application des recours
soient clairement délimitées et comprises par tous sera le défi
majeur à relever pour démontrer la viabilit&eacut;e du droit opposable au
logement.
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