Libération
Samedi 18 mars 2000, page 4

EVENEMENT
Trois économistes reconnaissent le bien-fondé de la décision de Lionel Jospin. «Il a eu raison de casser la cagnotte»

RICHE Pascal

En distribuant sa «cagnotte», Lionel Jospin a-t-il fait, compte tenu de la situation économique actuelle, un bon choix? Oui, si l'on en croit les trois économistes que nous avons interrogés.

Charles Wyplosz, professeur à l'Institut des hautes études internationales, à Genève. Chroniqueur à Libération.

«Les réductions d'impôts sont toujours une bonne idée. En l'occurrence, elles sont ciblées sur les ménages modestes, donc «de gauche». Le gouvernement a eu raison de ne pas trop s'inquiéter des déficits: la situation des finances publiques s'améliore de toutes façons. Le coup de pouce que ces baisses d'impôts vont donner à la croissance dans les mois qui viennent ­ 40 milliards, c'est tout de même 0,5% du PIB ­ devraient permettre d'accroître encore les recettes fiscales, ce qui aidera à réduire le déficit. On aura le beurre et l'argent du beurre.

«Je pense même que Jospin aurait pu effacer non pas un point, mais deux points de TVA. Pour «défaire» entièrement la hausse Juppé et parce que la baisse de la TVA a bien des avantages. Elle donne du pouvoir d'achat, ce qui devrait retarder les pressions salariales. La croissance est solide, et on sent bien que les «impatiences» se font jour: il ne faudrait pas qu'elles se traduisent par un retour de l'inflation, via les salaires. La baisse de la TVA est donc bonne à la fois pour la croissance, le pouvoir d'achat, la modération salariale et, au final, l'emploi. En revanche, le volet dépenses des mesures n'a aucun intérêt économique. C'est un geste purement politique. Ajouter un milliard à l'éducation, alors que rien n'est fait pour accroître l'efficacité du système, ne sert à rien, et alourdit le poids de l'Etat. On le regrettera un jour, quand la conjoncture se retournera.»

Liêm Hoang-Ngoc, maître de conférence à Paris I. Chef de file de l'Appel des économistes contre la pensée unique.

«Ce sont des mesures de justice sociale de bon augure. On aurait pu penser que, compte tenu du calendrier politique, Jospin soit plus électoraliste, qu'il favorise les classes moyennes et les classes aisées, celles qui votent au centre et font basculer les élections d'un côté ou de l'autre. Les baisses annoncées hier sont ciblées plutôt à gauche. Sur le volet dépenses, Lionel Jospin n'a pas été très audacieux, notamment sur l'éducation, avec seulement 1 milliard de francs. Mais au moins, il est sorti du dogme du «gel des emplois publics»; il faut maintenant que cette ouverture se concrétise financièrement. L'expérience des emplois-jeunes a montré que l'on pouvait créer des emplois publics utiles, répondant à des besoins émergents.»

Thomas Piketty, chargé de recherche au CNRS. Chroniqueur à Libération.

«J'ai été bluffé par l'annonce de la baisse du taux de TVA. C'est courageux et même, à ma connaissance, historique: jusque-là, les gouvernements baissaient presque systématiquement les impôts directs, comme l'impôt sur le revenu. C'est plus visible, donc plus payant sur le plan électoral. Sans la croissance des revenus, qui permettaient de regonfler mécaniquement les recettes des impôts directs (en faisant remonter les contribuables dans les tranches du barème), il n'y aurait plus aujourd'hui que des impôts indirects... Car ceux-ci n'ont cessé d'être augmentés! Les gouvernements n'aiment pas l'idée de baisser la TVA, car on n'en connaît pas les effets immédiats. On ne sait pas si les producteurs vont répercuter la baisse sur les consommateurs, où s'ils vont l'empocher. A terme, par le jeu de la concurrence, ce sont pourtant les consommateurs qui en profitent.

«Lionel Jospin tient donc sa promesse électorale, ce qui est un bel exemple en politique. Cette baisse risque d'être invisible, mais elle contribuera clairement à l'augmentation du pouvoir d'achat. Les autres allégements (taxe d'habitation, impôt sur le revenu) relèvent davantage du bricolage politique. Visiblement, la grande réforme de la taxe d'habitation n'est pas encore à l'ordre du jour.».