Libération
Lundi 9 avril 2001, page 6

«Economiques»
L'économie des crèches

PIKETTY Thomas

Parmi les chantiers qui attendent Bertrand Delanoë, la question de la garde des jeunes enfants et du nombre de places en crèche est sans nul doute l'un des plus brûlants. Et sur ce dossier comme sur tant d'autres, la campagne électorale n'a pas suffisamment permis d'éclairer les enjeux. La question des journalistes était pourtant simple: «Il existe actuellement plus de 20 000 enfants sur les listes d'attente des crèches. Que comptez-vous faire?» Ce à quoi le candidat socialiste répondait invariablement: «Nous allons créer 2000 places supplémentaires.» Autrement dit, 90 % des enfants resteront sur les listes d'attente! Réponse d'autant plus étonnante que de nombreux parents découragés se sont depuis longtemps retirés des listes d'attentes, si bien que le chiffre de 20 000 enfants sous-estime sans doute l'ampleur des besoins insatisfaits.

Faut-il en déduire que Delanoë se contrefiche des jeunes enfants? Evidemment non: tous les candidats, des Verts à Séguin, ont repris ce chiffre de «2 000 places supplémentaires», et Tiberi, plutôt que de consacrer plus d'argent à la construction de crèches, avait même décidé en septembre de créer une nouvelle allocation destinée aux parents faisant garder leur enfant à domicile. Tout le monde semble faire l'hypothèse que les crèches sont trop coûteuses, et qu'il est financièrement plus rentable de subventionner la garde à domicile. Une telle hypothèse peut surprendre: les crèches nécessitent moins de personnel (par enfant) que la garde à domicile, et on s'attendrait donc à ce que leur coût global soit moins élevé. L'explication réside sans doute dans le fait que la garde d'enfants nécessite de l'espace, et que le prix du mètre carré est élevé dans la capitale. Or le fait est qu'il existe des gisements de mètres carrés inoccupés dans la journée: les logements des parents partis à leur travail. La garde à domicile, plus intensive en personnel, serait donc tellement plus économe en espace que son coût global serait plus faible. Ajoutons que les parents, en recrutant et en supervisant eux-mêmes le personnel, prennent en charge des coûts et des risques que les crèches doivent payer, notamment en termes de salaires plus élevés.

Pour qu'un véritable débat démocratique puisse avoir lieu, il faudrait commencer par mettre à plat ces différentes hypothèses: tous les citoyens peuvent comprendre ce genre de petit raisonnement économique, et ils sont en droit d'attendre qu'on leur communique un minimum d'éléments chiffrés permettant de montrer qu'il est plus rentable de subventionner la garde à domicile (si tel est effectivement le cas). Il serait ensuite possible de passer à la question du montant des subventions permettant de moduler au mieux le prix des crèches et de la garde à domicile. En particulier, rien ne peut justifier les files d'attente: le rationnement conduit toujours au clientélisme, et la promesse socialiste d'établir dans tous les arrondissements des procédures transparentes d'attribution des places en crèches, «à l'image de ce qui se pratique déjà dans les arrondissements gérés par la gauche», fait sourire (jaune) les habitants desdits arrondissements. Si les prix actuels des crèches et de la garde à domicile sont tels que la demande de place en crèches est excédentaire, et si la construction de crèches supplémentaires en nombre suffisant est effectivement non rentable, alors il faut augmenter le prix des crèches (notamment pour les familles aisées, qui peuvent se payer une garde à domicile) et réduire le prix de la garde à domicile (notamment pour les familles modestes, qui ne bénéficient pas des réductions d'impôt), de façon à retrouver un certain équilibre. C'est à ce prix que Delanoë pourra mettre en pratique sa volonté de transparence.