Le Figaro, n° 18304

Samedi 14 juin 2003, p. 8

FRANCE; POLITIQUE

 

À tous les échelons, il existe des socialistes qui auraient souhaité voir la Rue de

Solferino tendre la main à François Fillon pour réformer les retraites

Au PS, les « réformistes » sont priés de se taire

Pascale SAUVAGE

 

Le problème du PS est que ses propositions sur les retraites n'intéressent personne. Le

constat est dressé par certains socialistes eux-mêmes, du militant au député, avec une

pointe d'amertume. Mais voilà, entre la radicalisation du mouvement social, qu'il s'agit, un

mois après le congrès de Dijon, de ne pas décrocher, et le souci d'apparaître comme un

parti de gouvernement crédible, le PS fait un grand écart douloureux pour ses propres

troupes.

Car ils existent, ces socialistes qui estiment que leur formation aurait dû « aider » Jean-

Pierre Raffarin à engager cette réforme qu'on sait inéluctable... depuis le gouvernement

Rocard. Mais leur parole ne perce pas l'écran fumeux de la stratégie de la Rue de

Solferino, qui elle-même a fait la girouette pendant plusieurs semaines, hésitant entre un

véritable « contre-projet » chiffré et « l'ouverture de pistes » en cas de retour au pouvoir

en 2007.

Témoignage d'un militant de province, qui exerce une profession libérale à Paris : « Ma

section, c'est 95 % de fonctionnaires. Je n'envisage même pas de prendre la parole pour

dire ce que je pense vraiment. Pourtant, je connais d'autres militants qui, comme moi, ne

se reconnaissent pas dans les positions officielles du parti. » En dépit de la rénovation des

pratiques annoncées par François Hollande à Dijon, une réunion de section vise toujours à

décliner et à relayer la parole de la direction auprès de la base plutôt que l'inverse.

Les positions du PS sur les retraites sont d'ailleurs à peine connues des militants euxmêmes.

Et pour cause : le rapport très complet et chiffré rédigé par le député de

l'Ardèche Pascal Terrasse, membre du comité d'orientation des retraites mis en place par

Lionel Jospin, est pieusement remisé dans un tiroir de Solferino. Le député, qui travaille

depuis six ans sur le sujet avec de nombreux experts, a interdiction de le diffuser. Pour

mieux contrôler cet élu volubile et, surtout, membre du Nouveau Parti socialiste (c'est un

proche de Vincent Peillon), François Hollande a nommé à ses côtés un autre « Monsieur

Retraites » en la personne de Gaëtan Gorce, une des figures du « courant majoritaire »

hollando-fabiusien. « Il fallait m'empêcher de dire trop de bêtises », admet Pascal

Terrasse, qui n'est « pas choqué par un concept de retraite à la carte », en tout cas un

système « souple et modulable » sans commune mesure avec le dogme de la retraite

pour tous au bout de 40 annuités de cotisation. « Dire cela, c'est faire de l'égalitarisme et

pas de l'égalité. »

Ce que Pascal Terrasse n'a pas le droit de dire non plus, c'est qu'il aurait été favorable à

une politique de la main tendue à François Fillon, à condition, bien sûr, que le ministre se

soit engagé lui aussi dans cette démarche. « Si Fillon nous avait pris au mot sur le

financement de la réforme, nous l'aurions servi sur un plateau, et la CGT avec nous. Car

Bernard Thibault était loin de refuser toute réforme, à condition de trouver d'autres

financements que le simple allongement de la durée de cotisations. »

Faute d'avoir donné à la CGT la possibilité d'une sortie honorable, on estime au PS que la

sortie de crise sera délicate à gérer pour le gouvernement. « Raffarin va traîner

longtemps cette difficulté de n'avoir pas renouvelé le dialogue social », juge Pascal

Terrasse. Mais elle ne sera pas moins difficile pour le PS, qui, à vouloir être sage tout en

retirant les bénéfices du mouvement social, risque de perdre de l'espace à la fois sur son

aile droite et sur son aile gauche. « L'habileté de Fillon et de Raffarin est d'avoir dit depuis

le début qu'il n'y a pas d'autre projet possible que le leur. Du coup, seules les positions

extrêmes sont entendues », se désole le député de l'Ardèche. C'est-à-dire les propos

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favorables au gouvernement de personnalités socialistes comme Michel Rocard, Jacques

Delors, Bernard Kouchner, Jacques Attali ou Michel Charasse... Ou bien, à l'autre bout de

l'échiquier parlementaire, le refrain « Demain, je rase gratis » du Parti communiste. Sans

parler du vide protestataire prôné par l'extrême gauche dans la rue.

« Hors ces positions extrêmes, point de salut ! » regrette Pascal Terrasse, convaincu

qu'entre « la déraison du PC » et le « projet très libéral de Fillon », il y avait place pour «

un projet équilibré »... à condition de l'afficher haut et fort, dès le congrès de Dijon.

Occasion manquée, qui condamne le PS à rester quelques mois de plus au fond du trou,

doublement tétanisé par la radicalisation du mouvement social et par sa culture de parti

de gouvernement. « La crédibilité viendra avec le temps », veut croire Julien Dray, porteparole

du PS et expert en mouvement social. « Rien ne sert de courir après le

mouvement social aujourd'hui et de vouloir apparaître comme une réponse naturelle à

une contestation loin d'être ponctuelle », explique-t-il, exemple à l'appui : en 1968,

Mitterrand s'était précipité derrière la contestation... et cela ne lui avait pas réussi.

 

Des économistes étiquetés à gauche dénoncent l'irréalisme du PS

 

Le rapport Terrasse reste dans un tiroir, les militants bienveillants à l'égard de la réforme

Fillon n'osent pas le dire, mais François Hollande n'est pas parvenu à couper la parole aux

économistes de gauche ou proches de la gauche. Et ceux-ci n'hésitent pas à tailler en

pièces le discours officiel, très politique, du PS, selon lequel une taxation supplémentaire

du capital financerait le système de répartition.

Thomas Piketty, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, s'est

exprimé le premier en ce sens dans une tribune au Monde. Il démontre que

l'augmentation drastique des impôts des plus riches rapporterait à peine 7 milliards

d'euros, soit 0,4 point du produit intérieur brut (PIB) alors que le déficit du système à

l'horizon 2040 serait de 4 points par an si l'on ne prend aucune mesure, et de 6 points si

on annule les mesures Balladur et si l'on revient à 37,5 ans de cotisation pour tous.

Autre argument en faveur de la réforme Fillon-Raffarin : tout prélèvement sur les

entreprises se répercute sur les ménages, salariés, actionnaires, ou consommateurs.

Thomas Piketty l'affirme, les économistes Elie Cohen (directeur de recherches au CNRS),

Jean-Paul Fitoussi (président de l'OFCE) et Jean Pisani-Ferry (ancien conseiller de DSK à

Bercy et professeur à Paris-Dauphine) le confirment.

D'une part, disent-ils dans Libération, un prélèvement sur le capital ne serait pas à la

hauteur du déficit des retraites, à moins de tripler l'impôt sur les sociétés, ce qui est

irréaliste. D'autre part, les prélèvements sur les entreprises sont toujours répercutés sur

les salariés, soit par la limitation des embauches, soit par celle des rémunérations. Bref,

au bout du compte, toute augmentation des cotisations employeurs retomberait, à cinq

ou dix ans, à la charge des salariés. « La proposition (du PS et plus largement de la

gauche) de taxer le capital nous semble avoir tous les traits d'une tactique d'évitement »,

concluent-ils.

Thomas Piketty, lui, estime « malhonnête de laisser croire que la réforme proposée \cpar

le gouvernement\s fait tout peser sur l'allongement de la durée de cotisations et qu'un

gouvernement de gauche parviendrait à un équilibre radicalement différent ». P.S.